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L’atelier de l’artiste de l’Antiquité à nos jours

Historique et étymologie de l’atelier d’artiste

L’étymologie du terme « atelier » proviendrait, sans certitudes, du mot latin « astella », qui désigne un copeau de bois. En effet, dès le début du XIVe siècle, on relève l’usage du mot dans la langue française : il désigne le lieu où sont amassés les éclats de bois du charpentier. Dans les siècles suivants, l’orthographe et la signification fluctuent jusqu’à la définition qu’en fait Trévoux dans son Dictionnaire de 1773 :

Le lieu aussi bien que l’ensemble des ouvriers groupés dans ce lieu où l’on travaille sous un même maître

Trévoux

Dès lors, la signification du mot se fixe, bien qu’elle reste soumise aux changements sociaux et aux transformations économiques propres à chaque époque et qui influent directement sur la réalité de ce qu’est un atelier.

Les paléontologues se sont, assez tôt, emparé du terme atelier pour décrire des dépôts préhistoriques d’armes et d’objets, témoins de ces lieux de travail dont on en découvre que partiellement l’organisation. L’atelier est l’espace où la matière se transforme, un lieu où la nature passe dans la culture (selon le mot de Marie-José Mondzain-Baudinet). À la sortie de l’atelier en effet, le bois, la pierre, le métal et la terre sont devenus objets d’usage, à valeur esthétique et, parfois rétrospectivement, culturelle.

Mais l’atelier, ce n’est pas qu’un lieu de transformation, c’est aussi un espace où se tissent et s’organisent des liens sociaux, selon une hiérarchie changeante et propre aux impératifs politiques, théologiques et sociaux de chaque époque. Ainsi, on trouve dans une période simultanée, de grandes divergences de fonctionnement : un peintre français du XIIIe siècle travaille dans l’anonymat d’une institution religieuse ou d’une boutique et jouit d’une liberté technique et iconographique minime, alors qu’à cette époque, un peintre chinois est un lettré membre des plus hautes instances politiques : à la fois calligraphe, peintre et poète, il fait partie d’une classe sociale élitiste qui n’a que peu de rapports avec la vie artisanale.

L’atelier européen du Moyen Âge : la force de la structure corporative

Au Moyen Âge en Europe, l’atelier se structure selon une hiérarchie assez stricte : il s’agit d’un local faisant partie de l’habitation, qui est à la fois lieu d’apprentissage, de production et de vente. Il est toujours placé sous la direction d’un maître qui délègue à l’apprenti et aux ouvriers qui sont dépendants économiquement de lui, chacun des membres à un rôle spécifique à tenir, mais doit également savoir tout faire. L’apprenti entrait souvent dès l’âge de sept ans chez le maître, qui le logeait, le nourrissait et l’instruisait de toutes les techniques de son futur métier.

Jean Bourdichon enluminure
Jean Bourdichon, Les États de la société, enluminure, fin du XVe siècle, BNF, Département des Manuscrits. Crédits photos : BNF.

L’accession à la maîtrise était très contrôlée par la corporation (qui imposait notamment la réalisation d’un chef d’œuvre) et difficile d’accès pour ceux qui n’étaient pas fils de maître. L’artisan est souvent pauvre et on assiste régulièrement, notamment à partir du XIVe siècle, à des grèves ou des coalitions contre des règles corporatives trop strictes. Les jours de repos des artisans sont aussi intimement liés aux fêtes religieuses, mais peu à peu, les règles contraignant le fonctionnement des ateliers passent des mains de l’Église à celles de l’État.

L’atelier d’artiste du XVe au XIXe siècle

L’artiste de cour et son atelier

À partir du XVe siècle, et surtout avec l’apparition des guerres d’Italie apparaissent les premiers artistes de cours et les premières manufactures, comme celle de tapisserie à Fontainebleau. Sous l’influence ultramontaine, on commence en France à distinguer l’art de l’artisanat. L’artiste accompli prend alors aux yeux des nouveaux commanditaires, un tout autre visage, il devient une personnalité originale, voir géniale et fréquente les savants. Les structures de l’atelier changent aussi, devenant un lieu où le maître opère en pédagogue et en théoricien. À rebours de cette figure de l’artiste omnipotent, on trouve une masse d’ouvriers employés par l’artiste, et dont les conditions de vie n’ont pas vraiment changé. Les œuvres sont toujours collectives, mais seul le maître signe. L’atelier est un lieu qui n’est plus seulement dédié à la transformation d’une matière brute en objet, c’est un lieu où l’on pense, où l’on innove, où l’on crée.

Les manufactures

En France, sous l’impulsion de Colbert et de Lebrun, des manufactures royales voient le jour, telle la célèbre manufacture des Gobelins, qui était comme un grand atelier au service de l’ameublement des maisons royales. Presque tous les corps de métiers y opéraient : lissiers, peintres, sculpteurs, orfèvres, etc.

D’après Charles Le Brun, Visite de Louis XIV à la manufacture des Gobelins, Tapisserie, Château de Versailles. Crédits photos : Photo RMN-Grand Palais (Château de Versailles)/Christian Jean/Jean Schormans.

Les Académies

En 1648, l’État prend en main un autre aspect jusqu’alors réservé aux corporations : l’instruction et l’apprentissage des styles par la création de l’Académie Royale de Peinture et de Sculpture accessible, comme la maîtrise, grâce à la présentation d’un chef d’œuvre : le morceau de réception.

L’explosion de l’atelier

En 1776, Turgot en abolissant tous les privilèges de maîtrises, de statuts et de règlements initie une libération des arts qui se scellera à la Révolution. Chaque citoyen peut exercer le métier qu’il souhaite après avoir payé le prix de la patente : c’est l’ouverture de l’ère industrielle. Plusieurs types d’ateliers cohabitent alors : les ateliers-cénacles de l’Académie, les ateliers préindustriels et les ateliers artisanaux. Au XIXe siècle, il ne reste de l’atelier traditionnel que la fonction pédagogique exercée par les maîtres, parfois purement formelle. Ingres par exemple croyait en l’inspiration divine et ne formait pas ses élèves, pourtant nombreux. L’atelier est alors un sanctuaire.

Peu à peu, le lieu de l’atelier disparait en fumée. Chevalet sous le bras, les artistes ont désormais pour lieu de travail la nature, les maîtres s’éloignent et s’isolent des grands centres de production, allant même parfois, comme Gauguin, jusqu’à Tahiti. Reste l’Académie, qui propose aux bourgeois un art et un enseignement officiels.

Le XXe siècle : l’atelier laboratoire

Le XXe siècle voit, en France, l’apparition du type architectural de l’atelier à verrière et à soupente. Ces périmètres sacrés parfois bohème, parfois sophistiqué, cohabitant souvent au sein de « ruches », telles les concentrations d’ateliers de Montmartre ou du Montparnasse.

Aujourd’hui, la dématérialisation de l’atelier côtoie les grandes industries culturelles, pépinières et laboratoires à idées.