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Une brève histoire du cabinet de curiosités
Ce désir, qui semble si naturel au grand philosophe grec, connaît une fortune particulière durant la Renaissance en Europe. On y donne en effet, sous l’impulsion des philosophies humanistes, un essor incroyable à la domination des savoirs, quels qu’ils soient. Ce désir d’embrasser tous les domaines de la connaissance se lie avec celui de s’approprier le monde et toutes ses merveilleuses et énigmatiques créations, rassemblées sous le nom de « curiosités ». La curiosité est un objet admirable (mirabilia) et singulier qui peut être une naturalia (un objet issu de la nature) ou une artificialia (une merveille créée par la main de l’Homme).
Le cabinet de curiosité reflète également le nouveau rapport aux voyages, aux visites et aux échanges qui rythment la vie des collectionneurs. Son contenu est intimement lié aux préoccupations sociales de l’époque et varie considérablement d’un siècle à l’autre selon les engouements ou les découvertes. Ces cabinets de curiosités nés à la Renaissance, qui sont des espaces de collection conçus par des collectionneurs pour eux-mêmes et quelques invités triés sur le volet, prennent un grand essor au XVIIe siècle et continuent, sous des formes différentes au siècle suivant. Dès lors que les collections d’art et d’histoire naturelle sont institutionnalisées, le cabinet de curiosités est peu à peu délaissé.
La collection princière : du cabinet au Kunstkammer
Les premiers cabinets de curiosité nous sont moins connus par les objets que par les gravures et les catalogues qui les décrivent. Les princes sont ainsi parmi les premiers à collectionner des objets précieux qu’ils conservent dans des « cabinets » (qui désigne tantôt la pièce, tantôt le meuble où sont exposés les objets) ou « garde-robes ». Ce sont des endroits presque secrets à l’écart des pièces d’apparat et proches des appartements privés.
Les princes peuvent également faire valoir un statut, valorisant et revendiqué, de mécène commandant aux plus grands artistes et artisans des artificialia. Le musée d’Écouen en conserve des pièces exceptionnelles, telle l’extraordinaire Nef automate dite de Charles Quint ou la Statuette de Daphné, réalisée par Wenzel Jamnitzer, le plus grand orfèvre de Nuremberg, en 1570-1575.
Cette statuette d’argent et de corail représente Daphné au moment de sa transformation en laurier, obtenue des dieux afin d’échapper au viol du dieu Apollon. Cet objet à mi-chemin entre production naturelle et humaine est tout à fait typique des œuvres excentriques et hybrides que l’on pouvait trouver dans les cabinets. Le choix du corail n’est également pas neutre : il est une curiosité en soi, puisqu’on ne sait s’il est un élément végétal, minéral ou animal. Ces objets, merveilles de la nature et de l’art, sont la fierté des propriétaires, dont ils assoient la réputation. Pour installer et exposer tant de curiosités, l’espace d’un cabinet peut-être, à la hauteur des moyens princiers, un peu étroit. On choisit alors une galerie de plus vastes dimensions, qui peut être appelée dans les pays septentrionaux Kunstkammer (chambre des arts) ou Wunderkammer (chambre des merveilles).
Dans les studioli italiens, on expose également parfois des animaux vivants (chez les Strozzi à Florence) ou des exotica (capes et diadèmes de plumes comme dans le studiolo de Cosme Ier de Médicis).
Les collections particulières : apothicaires, médecins, voyageurs…
Les princes, bien qu’ils aient été les premiers, ne sont pas les seuls collectionneurs : dès la fin du XVIe siècle, le goût du cabinet de curiosité se répand chez les nobles, les médecins (comme le célèbre Ambroise Paré), les commerçants et voyageurs, et même les hommes d’Église. Découlent de cette soif de collectionner un commerce florissant et une forme de spéculation sur les objets rares : ambre, tulipe, bézoard… (voir Le géant, la licorne et la tulipe d’Antoine Schnapper à ce sujet).
L’un des cabinets de curiosités privés les plus emblématiques de la fin du XVIe siècle et du début du siècle suivant est sans nul doute celui du Napolitan Ferrante Imperato dans le Palazzo Gravina. Ce pharmacien et naturaliste, auteur du Dell’historiae naturale, possédait l’un des plus riches cabinets de curiosités de l’époque, où se côtoyaient ouvrages scientifiques et littéraires, végétaux, minéraux et animaux naturalisés, de toutes tailles et de toutes sortes, auxquels on attribue d’extraordinaires capacités. Au plafond, trônant, une dépouille de crocodile, symbole du Nouveau Monde que l’Europe ne cesse de découvrir. Ce cabinet, à la source de nombreuses visites et discussions, visait à créer un microcosme, un abrégé du monde, qui pourrait, dans la mesure du possible, donner à voir les mystères de la Création. Dans cette optique, le classement et l’inventaire du cabinet de curiosité revêt une grande importance, elle est laissée aux bons soins du collectionneur qui crée son monde comme il le souhaite. On ne connait qu’une seule méthode de classement pour cette époque, qui est d’ailleurs plutôt un manuel d’exposition, celui que le duc de Bavière commande au médecin anversois Samuel Quiccheberg, Inscriptions du très vaste théâtre, 1595.
Le cabinet d’étude
Le cabinet d’étude est une typologie du cabinet de curiosités, on y trouve des spécimens naturels qui sont laissés à la libre observation et manipulation des visiteurs, aux côtés d’une bibliothèque, absolument nécessaire la compilation de ces savoirs. On allie dans ces endroits le pratique au théorique, les savoirs à l’expérience. Cette méthode est très liée à la nouvelle appréciation des savoirs par les Humanistes de la Renaissance, qui rejoint aussi les nouvelles aspirations académiques et scientifiques. Ainsi le cabinet devient peu à peu un lieu académique, dédié à la diffusion des savoirs : les savants, étudiants, ducs et princes s’y pressent.
De ce type de cabinets, quatre fonctions émergent, qui auront une importance majeure dans les siècles à venir : l’exposition, la délectation, l’étude et la recherche. Avec l’expansion des Académies aux XVIIe et XVIIIe siècles, les cabinets qui abritaient il y a peu les controverses savantes, passent pour être futiles. Également, les découvertes s’accumulant, on met de côté l’aspiration à la recréation d’un microcosme de l’univers connu, pour se concentrer sur des champs d’application plus restreints. L’esthète amassant toutes sortes d’objets dans son cabinet est alors vu comme un être fantasque.
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