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Interview – Le Guide Labreuche : base de références des marques de tableaux
Pascal Labreuche est conservateur-restaurateur de peintures et expert des supports toiles. Il écrit une thèse sur le sujet qui est publiée en 2011. Il crée en 2014 le Guide Labreuche référençant les diverses marques de marchands, maisons et commerces de la région parisienne, présentes sur les tableaux. Fin 2020, il en lance une nouvelle version éditée par la Société du Guide Labreuche.
Nous avons recueilli ses propos autour de ses travaux de recherches et de son guide au cours d’une interview.
Comment l’idée du guide Labreuche est-elle née ?
Au cours de mes études de conservateur-restaurateur, j’ai constaté que l’on disposait de très peu de ressources pour se documenter sur les fournisseurs des supports de tableaux (toiles, châssis…), pour lesquels je m’étais pris de passion. C’était paradoxal puisque Paris est la capitale de l’art au XIXe siècle en peinture, et que d’autres pays étrangers comme les Etats-Unis, l’Allemagne ou les Pays-Bas avaient fait des travaux de recherche sur ces supports.
A la fin de mes études, j’ai entamé des travaux de recherche sur les supports de tableaux avec l’approche de l’histoire des techniques et de ses méthodologies, qui ont fait l’objet d’une thèse publiée. Les annexes et illustrations de celle-ci ont été l’embryon du guide. Je me concentrais sur l’objet qu’est le support d’un tableau (qui le fabriquait, où se trouvaient les magasins…). A terme, mes travaux recoupent l’histoire de l’art : les connaissances sur les fournisseurs d’un artiste donnent des éclairages sur sa biographie et peuvent servir à situer et à dater certaines œuvres.
A qui le site s’adresse-t-il ?
Le site s’adresse aux possesseurs de tableaux porteurs de marque à interpréter (particuliers, institutions, gestionnaires, conservateurs, marchands…).
Le guide permet de faciliter l’authentification et la traçabilité des tableaux, notamment dans les cas de recherche de provenance (œuvres spoliées, droit de propriété), s’appuyant sur les particularités matérielles des œuvres.
Comment le guide se structure-t-il ?
Le site a 3 répertoires principaux, classés par ordre alphabétique :
-Les commerces/entreprises
Tous les intervenants professionnels qui sont au service des artistes et sont susceptibles de mettre des tampons ou étiquettes : fournisseurs de matériaux, intervenants sur des œuvres comme les restaurateurs, les marchands d’art exposant les tableaux dans leur galerie en vente/location, encadreurs…
-Les clients
Les artistes, peintres et dessinateurs, dont les supports picturaux et graphiques sont porteurs de marques. L’on trouve également des amateurs de peinture, ayant souvent peu produit, par exemple Théophile Gautier qui a peint 2 tableaux dans sa jeunesse portant des marques de fournisseur, ou quelques grands bourgeois s’étant procuré du matériel de peintre en papeterie et peignant en amateur.
-Les marques
Ce sont les signes laissés par les fournisseurs sur les supports, catalogués sur le site. La catégorie permet de relier commerces et clients.
Le projet est de cataloguer les marques en les classant par type de modèle (une maison peut émettre plusieurs types de marques en fonction des années ou des événements) et en leur attribuant un numéro d’objet/exemplaire fixe : c’est donc un coup de tampon sur un objet en particulier qui est numéroté, mais le tampon lui-même qui a servi de modèle a un code particulier (ex: GL-Souty-M1…).
Je fais une typologie des types de marquages : marque au pochoirs, tampon (marques à l’encre/timbre humide)… Les étiquettes (papier collé) sont une catégorie à part et très intéressante, car le papier utilisé est souvent le même que la papeterie de l’entreprise (carte de visite, factures, documents commerciaux…). C’est le cas pour Haro par exemple.
J’ai également mis en place un géoréférencement permettant de situer sur une carte de Paris des implantations de commerce, ainsi que certaines adresses d’atelier ou de domicile connus d’artistes. A terme, il sera possible d’observer ces implantations selon une période choisie.
Où se situent les marques ?
Les marques se trouvent généralement sur l’envers du support du tableau, ou sur leur cadre pour les étiquettes de transporteur ou de rentoileur, voire de marchands de tableaux, ou bien par manque de place sur le revers. Il y a un risque de perte d’information si le cadre et l’œuvre, le châssis et la toile sont séparés.
Pourquoi la période XVIII-XXe siècle ?
Il y a très peu de témoins de marquages antérieurs au XVIIIe siècle. Le procédé devient fréquent à partir de la deuxième moitié du XVIIIe siècle.
Les procédés de marquage perdurent tout au long du XXe siècle et de nos jours aussi, même au pochoir. J’ai fait le choix de m’arrêter aux années 1960, période à partir de laquelle les œuvres appartiennent souvent au domaine privé, ce qui ne permet pas un recul historique.
Comment la base de référencement s’est-elle construite ?
J’ai construit la base manuellement en relevant les marques, et en recueillant les relevés et photos fournis par des tiers, souvent des confrères et consœurs.
Au début, j’utilisais des relevés sous transparent, précis par l’exactitude de leurs dimensions. La photo numérique a simplifié le relevé et le traitement des marques (plus hautes définition, qualité et fiabilité).
Dès le début, je souhaitais créer une matériauthèque, avec des échantillons matériels de toiles, de clous, etc.. Les photos et relevés permettent d’avoir une sorte de prototype de la vignette de marquage ou du tampon. J’ai classé ces prototypes en en notant précisément les cotes en millimètres.
Comment identifier une marque ?
Pour le catalogage et le repérage, je commence par un examen visuel comparatif des marques à l’aide de mes prototypes.
Un premier examen visuel évident est effectué : différences entre un prototype et une marque (une lettre différente, une ligne de plus ou de moins, par exemple), mention bien datable (Médaille d’argent Exposition 1851).
Pour démontrer que deux modèles sont identiques, je superpose prototype et marque étudiée sur Photoshop jusqu’à la concordance parfaite. Les différences peuvent indiquer un autre type de vignette d’une maison. Les maisons ayant beaucoup produit ont généralement un grand éventail de vignettes différentes, dont l’utilisation ne suit pas une chronologie précise. A titre d’exemple, la Maison Vallé et Bourniche a une profusion de types de marques, avec plus de 15 modèles aux différences parfois infimes.
Les supports originaux, si possible intacts, sont idéaux pour la documentation. Les supports rentoilés ou marouflés peuvent comporter des marques de rentoileurs ou de restaurateurs. Mais en général, un changement de support implique une perte d’information au niveau des marques de fournisseur, marchand ou restaurateur antérieurs, et, dans le cas de rentoilages, elles ne sont découvertes que si l’on intervient à nouveau pour retirer la toile.
Comment authentifier une marque ?
Les différences peuvent indiquer une variante d’une vignette, ou bien une contrefaçon.
Celles-ci contiennent souvent des fautes d’orthographe, ou des indicateurs de mauvaise compréhension du texte ou des défauts courants des originaux de la marque (coulures, bavures d’encre, tâches…). Par exemple, une tâche d’encre peut être interprétée comme étant un accent, ce qui introduit une faute d’orthographe dans l’imitation réalisée.
Dans certains cas, les tableaux sont rentoilés, donc séparés de leur support original, et les propriétaires veulent réintroduire la marque sur la toile en l’y faisant imprimer.
La question sous-jacente est celle de la falsification d’œuvres : une marque peut être détournée en conservant le support original mais en modifiant le recto. Dans le cas d’authentification plus poussée, je pense que l’on peut avoir recours à des outils d’analyse scientifique (imagerie infrarouge, UV…) pour étudier notamment la concordance entre l’âge de la peinture et de la marque : un tableau ancien ne peut pas avoir une marque exempte de tout signe de vieillissement, tel que des infiltrations de vernis depuis la toile issue des revernissages.
Quelles sont les marques phares ou liées à des artistes connus ?
Certaines marques sont célèbres, non pas par l’importance particulière des supports produits, en termes de quantités, d’inventions ou de réseaux de distribution, mais parce qu’elles sont liées à des noms célèbres d’artistes et peuvent donc renseigner sur leur vie : Haro par exemple, est liée à Ingres et Delacroix et est, de plus, très bien documentée, ce qui suscite un vif intérêt pour les historiens de l’art dès les années 1930.
Comment le guide peut-il faciliter l’authentification et l’estimation d’un tableau ?
Les marques de fournisseurs constituent des indices pour l’expertise d’un tableau, notamment pour sa datation et son authentification, et sa traçabilité. Par exemple, il y aurait un contresens historique si un Renoir (1841-1919) était porteur d’une marque Haro des années 1820.
En revanche, une marque ne permet pas d’authentifier seule l’œuvre d’un artiste : ce n’est pas parce que j’ai un tableau de la marque Haro, qui est fournisseur d’Ingres et Delacroix, que mon tableau est forcément un Ingres ou un Delacroix.
Nous remercions très chaleureusement Pascal Labreuche de cette interview et de ces explications concernant son Guide Labreuche. Les illustrations nous ont été aimablement transmises par Pascal.
Si vous possédez des tableaux ou dessins porteurs de marques et vous souhaitez les faire estimer, n’hésitez pas à nous faire une demande sur la page dédiée à l’expertise de tableaux anciens.