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La nature morte néerlandaise durant le Siècle d’Or
Le XVIIe siècle en Hollande est qualifié de « siècle d’or », car le pays connaît sa plus grande période de prospérité intellectuelle, scientifique, commerciale et artistique. Rappelons qu’il est divisé en deux depuis 1581, que les provinces du Nord sont de confession protestante tandis que les provinces du sud restent catholiques et sous domination espagnole.
La nature morte est un genre artistique qui prend pour sujet des objets inanimés, parfois associés à des animaux, agencés dans une composition qui sous-tend souvent une signification symbolique. Ce genre est travaillé et connu depuis l’Antiquité ; nous est parvenue par exemple la célèbre histoire de Zeuxis qui avait peint un Enfant aux raisins dont les fruits étaient si réalistes que les oiseaux tentaient de les picorer. On connaît d’ailleurs quelques représentations de natures mortes antiques, comme la Nature Morte avec panier de figues, 1er siècle avant J.-C., provenant de Pompéi et conservé au musée archéologique de Naples.
Il faut ensuite attendre le début du XVIIe siècle pour que la nature morte se développe en Europe. En effet, dans le bouillonnement artistique de la Hollande du XVIIe siècle, qui a pour effet de minimiser considérablement l’importance donnée à la hiérarchie des genres en peinture, la nature morte peut pleinement s’épanouir, conquérant le marché néerlandais et international et portant au firmament nombre d’artistes qui se spécialisent, avec brio, dans des sous-catégories du genre. En Flandres, vers 1650 apparaît ainsi le terme Still leven, nature silencieuse, qui caractérise la peinture de fleurs, fruits, poissons et autres « tables servies ».
Comment reconnaître une nature morte hollandaise d’une nature morte flamande ?
La peinture de la partie septentrionale du pays se caractérise par une multiplicité de genres picturaux, eux même subdivisés en sous-genres. En effet, au contraire des grands royaumes catholiques, l’Église et la Royauté ne sont pas les principaux commanditaires : ce sont les particuliers qui forment le plus gros de la clientèle. Les tableaux sont donc généralement de taille assez modeste et d’un prix relativement bas (sauf pour les grands maîtres). Ainsi, il y a à l’époque une immense production artistique dont moins d’un pour cent nous est parvenu, selon l’historien C. Lloyd, et qui contribue à l’omniprésence de la peinture dans tous les milieux sociaux, même les plus modestes. Certaines natures mortes sont ainsi de qualité plutôt médiocre puisque réalisées quasiment en série.
Les natures mortes de la Hollande protestante aménagent peu d’objets dans une composition assez travaillée, généralement teintée d’une connotation moralisatrice, et qui met en valeur le rendu précis des matières. Bien évidemment, de nombreuses exceptions existent, comme Pieter Aertsen qui peint d’immenses natures mortes débordantes de victuailles, comme dans L’étal du boucher, 1551, North Carolina Museum of Art.
Les natures mortes des Flandres catholique sont assez différentes. En effet, la clientèle des peintres est plutôt formée de nobles qui aiment les formats monumentaux, les scènes de trophées et de chasse, disposées dans une atmosphère plutôt chargée à la décoration exubérante qui entoure parfois la scène de rideaux et de colonnes antiques, comme dans les peintures d’Alexander Coosemans et de ses suiveurs.
La nature morte de fleurs, un des premiers sous-genres.
En Europe septentrionale, la nature morte s’épanouit tout d’abord sous la forme de peintures tonales, c’est-à-dire à la palette restreinte, ou de natures mortes de fleurs, qui est un des premiers sous-genres dû à la passion du pays pour l’horticulture et au grand commerce des fleurs, notamment des tulipes. Un des plus grands représentants est Jan Brueghel, dit Brueghel de Velours, peintre flamand qui voyage en Italie et qui, dès son retour, en 1590, peint des natures mortes de fleurs qui initieront le genre.
Puis d’autres grands peintres se spécialisent dans la peinture de fleurs, chacun apportant une touche particulière, comme Ambrosius Bosschaert qui développe le style du bouquet de fleurs dans une niche ou Jan Davidsz de Heem qui a une peinture plus tonale. Notons que, très souvent, ces bouquets sont en réalité impossibles, composés d’après des livres de botaniques et assemblant des fleurs qui ne fleurissent pas à la même période. Très vite, la nature morte connaît un succès social et commercial et son prix est parfois plus élevé qu’un portrait.
Délectation visuelle ou sens symbolique caché ?
La nature morte telle qu’on l’entend dans son sens le plus large représente souvent une table et des victuailles, ce qui est une belle opportunité pour les peintres de décrire les textures de façon très détaillée et de prouver leur habileté technique. Néanmoins, ceux-ci poursuivent souvent un autre but que la simple recréation mimétique de la nature et imprègnent leur peinture d’un sens moral, qui, s’il varie, peut-être généralement rapproché de la notion de Carpe diem.
Parmi les multitudes de sous-genres imprégnés d’un sens symbolique, qui ne peuvent être tous abordés ici, notons les peintures réalistes ou tonales, qui trouvent leur équivalent dans la peinture de paysage. Également, la table servie, Ontbijtje, qui représente les restes du repas, genre notamment exploré par Clara Peeters : Nature Morte, 1611, Madrid, musée du Prado. A partir du milieu du siècle s’épanouit aussi la Pronkstilleven, nature morte riche qui dépeint des objets plus coûteux et ostentatoires, dont Willem Kalf et Pieter Claesz sont les plus grands représentants (Pieter Claesz, Nature morte, 1637, Madrid, musée du Prado).
Quasiment toutes les natures mortes comportent un message moralisateur, parfois plus évident dans les Vanités, ces représentations allégoriques du temps qui passe. Notons néanmoins que le sens de la peinture est plutôt ouvert, car elle était souvent destinée au marché de l’art en général et non pas à un acheteur en particulier, le peintre devait donc s’assurer de ne pas heurter son potentiel client.
La différenciation entre les peintures flamandes et hollandaises est parfois assez difficile, car les mouvements de transfert du sud au nord et inversement n’étaient pas rares, les peintres suivant leurs clients ou fuyant les persécutions religieuses. Ainsi, une bonne expertise de votre nature morte est absolument nécessaire, d’autant plus que la cote des grands maîtres du genre est extrêmement haute. Ainsi, une nature morte d’Ambrosius Bosschaert, Fleurs coupées dans un Römer posé sur un entablement sur fond de paysage, a été adjugée 3,3 millions d’euros à Drouot en juin 2019.