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En quoi les ports-francs intéressent-ils le marché de l’art ?
Dans le souci de favoriser les échanges commerciaux, les États ont dès l’Antiquité autorisés les marchandises destinées à l’exportation à transiter dans des ports sans être frappées par les mêmes taxes que les produits du marché intérieur.
Durant le Moyen-Âge ce sont les ports de Venise, Gênes, Marseille et Hambourg qui adaptèrent leur fiscalité.
Le port-franc tel que nous l’entendons aujourd’hui peut être daté du milieu du XIXe siècle. Destiné à l’époque pour l’entrepôt des céréales, le port franc s’apparente dorénavant à un immense garde-meubles où sont stockées des denrées de luxe (vin, œuvres d’art).
Le développement du marché de l’art ainsi que l’explosion du nombre de foires et d’expositions de par le monde nécessitent une circulation dense et rapide des œuvres. Or, les frais de transport, auxquels s’ajoutent diverses taxes internationales, peuvent freiner de façon drastique ces mouvements. Dès lors la solution qui s’est imposée fut celle des ports-francs.
De multiples avantages des ports-francs
Véritable zone-franche, le port-franc présente de nombreux avantages qui ont su séduire le marché de l’art.
Définition de la notion de port-franc
Un port-franc est une zone portuaire à l’intérieur de laquelle les marchandises transitent sans être soumises aux droits de douane, de TVA d’importation ou de paiement de cautions.
Cette zone franche est juridiquement située avant la frontière douanière du pays où elle est implantée de telle sorte que les marchandises ne sont pas considérées sur son territoire.
Au sein de ces entrepôts, les marchandises peuvent être manipulées, transformées, revendues et toute prestation (entreposage, contrôle, restauration, analyses) s’effectue en suspension de TVA.
Au départ, la raison d’un passage en port-franc est de faciliter les manipulations de marchandises ainsi que leur gestion administrative dans un but de réexpédition. En effet, l’entreposage à long terme n’était pas prévu d’où une implantation des ports-francs près des ports maritimes et voies aériennes.
Le port-franc de Genève est le plus grand port-franc du monde pour l’art devant ceux du Luxembourg et de Shanghai. Détenu à 86 % par le canton suisse, le port-franc genevois dispose de 150 000 m2. Actuellement plus d’un million d’œuvres d’art seraient stockées dans ses entrepôts représentant 40 % de sa surface.
Vers une financiarisation du marché de l’art
Concrètement, une œuvre d’art peut changer plusieurs fois de propriétaire durant son transit et seul l’acquéreur final paiera les taxes dues dans le pays de destination. Dès lors, le port-franc constitue l’amorçage de la financiarisation du marché de l’art. En effet, une même œuvre peut changer de mains une multitude de fois tout comme les marchés dérivés.
Véritable outil nécessaire à la dématérialisation du marché de l’art, le port-franc est un séquestre juridique vis-à-vis des autorités fiscales. La multiplication des ports-francs dans le monde illustre ce phénomène de marché efficient, global et liquide.
Si la principale attractivité de ces zones-franches réside dans l’économie des dépenses, ce n’est pas le seul argument. Les frais d’assurance et les coûts de stockage sont relativement faibles, les conditions de sécurité optimales et des showrooms peuvent être aménagés afin de présenter les œuvres pour expertise ou restauration. La confidentialité et la discrétion sont également appréciées des acteurs du marché de l’art qu’ils soient collectionneurs, galeristes, marchands, courtiers ou représentants d’institutions muséales.
Jouissant de nombreux avantages, les ports-francs présentent également de nombreuses dérives.
Des dérives majeures
Mal réglementé, le marché de l’art est propice à la fraude fiscale et au blanchiment d’argent. Les ports-francs contribuent largement à ces dérives.
Un nouveau paradis pour l’argent sale
La réglementation accrue des banques implique de trouver de nouveaux débouchés afin de cacher l’argent sale et, tout comme l’immobilier, l’art constitue un formidable moyen.
Bien souvent des montages financiers extraterritoriaux (sociétés offshore ou fictives) sont élaborés rendant l’identification du propriétaire impossible.
Par ailleurs, le Groupe interdépartemental de coordination sur la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme (GCBF) révélait en 2015 que les ventes aux enchères étaient facilement manipulables. Le marché pourrait ainsi établir de fausses factures pour des achats fictifs d’œuvres d’art ou simuler des enchères.
Or, le GBCF s’est étonné que le marché de l’art reste ignoré des législations alors que les principaux domaines d’activité économique et financière ont fait dernièrement l’objet de réglementations et restrictions sévères dans le but d’éviter le blanchiment d’argent.
Vers une intensification des contrôles ?
À ces problématiques s’ajoutent les nombreux scandales qui ont été révélés au public ces dernières années du Salvator Mundi vendu par le courtier Yves Bouvier à l’oligarque russe Dmitri Rybolovlev et L’homme assis appuyé sur une canne d’Amedeo Modigliani stocké dans le port-franc de Genève et présumé avoir été volé par les nazis.
Le Parlement européen s’est donc décidé à agir en votant en 2019 la suppression progressive du modèle commercial des ports-francs dans l’Union européenne. De même, dès 2020, dans le cadre de la lutte contre le blanchiment d’argent, l’UE imposa aux acteurs du marché de l’art de vérifier l’identité de l’acheteur pour toute transaction supérieure à dix mille euros, assorti du devoir de signaler tout soupçon.
Mais la faisabilité de contrôles accrus se pose aujourd’hui. L’administration est-elle en mesure de les effectuer ? Dispose-t-elle des ressources nécessaires ? Les contrôles ne sont pas systématiques, mais aléatoires et fondés sur le risque.
Enfin, si la loi suisse impose aux banques une obligation de vérifier la licéité des fonds, il n’existe aucun devoir de diligence ou de déclaration à charge des acteurs du marché de l’art.
Le marché de l’art n’a pas fini de préoccuper l’Union européenne puisque le gouvernement britannique a annoncé le 3 mars 2021 la création en Angleterre de huit grands ports-francs dans le but de stimuler l’économie locale post-Brexit.
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