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Artemisia Gentileschi : reine des enchères

Artemisia Gentileschi (1593-1652) est la fille du peintre Orazio Gentileschi chez qui elle fait son apprentissage aux côtés de ses frères également destinés à être peintres ; elle est de loin la plus douée. Dans l’atelier de son père, elle rencontre Caravage, dont l’influence marquera durablement sa peinture. Tout comme lui, sa vie difficile semble avoir occulté pendant un temps ses qualités de peintre aux yeux du grand public. Il faut attendre 1916 pour qu’elle soit remise à sa juste place, c’est-à-dire au premier plan, dans l’histoire de l’art du XVIIe siècle par le célèbre historien de l’art Roberto Longhi qui lui consacra une longue étude. Depuis quelques années, les collectionneurs s’arrachent les quelques œuvres de cette immense artiste passant sur le marché. Retour sur sa vie, son œuvre et quelques-unes des plus belles enchères de ces dernières années. 

Une femme peintre affrontant la violence des hommes

Artemisia se forme donc dans l’atelier de son père à Rome, dont elle corrige souvent les œuvres, en leur donnant une touche réaliste et sombre. Elle a un talent très précoce et à dix-sept ans elle signe sa première œuvre, une huile sur toile représentant Suzanne et les vieillards, aujourd’hui conservée dans la collection Schönborn à Pommersfelden. À dix-neuf ans, son père lui offre les services d’un précepteur, Agostino Tassi, pour lui apprendre les rudiments de la perspective (l’accès aux Beaux-Arts étant interdit aux femmes). Celui-ci la viole puis refuse de l’épouser pour « racheter son honneur », comme c’était l’usage dans la société patriarcale du XVIIsiècle. S’en suit alors un procès dont on connaît nombre de détails grâce à des documents d’archives. Durant cette longue audience, Artemisia fut torturée et soumise à un interrogatoire cruel ponctué d’examens gynécologiques humiliants. Elle résista à toutes ces atrocités et maintint ses accusations. A. Tassi fut condamné, mais ne purgea jamais sa peine. 

Juste après ce procès, elle quitte Rome pour Florence et commence, enfin, à pouvoir affirmer son indépendance artistique et personnelle. Elle est d’ailleurs la première femme à intégrer l’académie de dessin de Florence. À cette époque, elle utilise beaucoup son image qu’elle intègre dans des allégories ou des sujets bibliques, comme dans son plus grand chef-d’œuvre, Judith décapitant Holopherne, vers 1612-14, conservée à la galerie des Offices de Florence. Sa renommée grandit, elle travaille pour de nombreux commanditaires dont le grand-duc de Toscane et fréquente des personnalités importantes, tel Galilée. 

Fuyant des dettes, elle retourne à Rome où elle délaisse quelque peu les influences caravagesques pour un classicisme plus bolonais et peint majoritairement des portraits et peintures de chevalet, faute de commandes de grands cycles de fresques et de décors intérieurs. Puis elle ira travailler à Naples où elle sera enfin traitée comme l’égal des plus peintres de l’époque et sera même invitée à travailler à la cour de Charles Ier d’Angleterre.  

Une artiste majeure redécouverte 

Presque tombée dans l’oubli durant plus de deux siècles, Artemisia est remise à l’honneur par Roberto Longhi qui lui consacre une étude dithyrambique en 1916. Puis, elle devient un sujet de recherche privilégié au sein des gender studies, grâce aux liens profonds qui semblent exister entre son art et sa vie personnelle. Enfin, l’exposition Orazio et Artemisia Gentileschi organisée au Museo di Palazzo Venezia de Rome et au Metropolitan Museum of Art de New York en 2010 permet de découvrir la grande diversité de ses représentations et de ses techniques picturales. 

Artemisia : reine des enchères

Depuis quelques années, les enchères s’envolent pour celle que l’on nomme désormais simplement Artemisia. Outre les récurrentes adjudications dépassant les centaines de milliers d’euros, telle la Bethsabée au bain, une huile sur toile vendue chez Sotheby’s New York plus de 600 000 euros le 19 janvier 2020, deux enchères ont réellement marqué le marché, faisant radicalement évoluer la côte de l’artiste et contribuant à la faire connaître au grand public.

Tout d’abord, la Sainte-Catherine d’Alexandrie, huile sur toile estimée 300 000-400 000 euros et vendue plus de 2,3 millions euros par l’étude parisienne Joron-Derem à la National Gallery de Londres après une bataille d’enchères en décembre 2017. Notons que cette œuvre a été découverte dans un grenier français, le propriétaire n’ayant aucune idée de sa valeur ! Elle est aujourd’hui une des œuvres phares de la National Gallery qui a consacré une série documentaire à sa restauration ainsi qu’une exposition de présentation. L’œuvre, datée de la période florentine, est un autoportrait de l’artiste sous l’iconographie de Sainte-Catherine, sainte chrétienne du IIIe martyrisée suite à son refus d’épouser de force l’empereur Maximin II Daïa. 

Puis, en 2019, un record mondial a été établi pour cette artiste. Une huile sur toile représentant Lucrèce et exécutée vers 1630 pendant le séjour napolitain d’Artemisia, a été vendue chez Artcurial à Paris plus de 4,8 millions d’euros le 13 novembre 2019, emportée par un collectionneur européen. Cette œuvre venait d’une collection lyonnaise où elle avait été soigneusement été conservée pendant plus de 40 ans. L’état de conservation exceptionnel a d’ailleurs contribué à son prix. Tout comme pour la Sainte-Catherine d’Alexandrie, la peintre s’est représentée dans cette toile sous l’iconographie de Lucrèce, patricienne romaine violée par Sextus Tarquin en 509 avant J.-C. et qui se donna la mort pour échapper au déshonneur dont ses contemporains l’auraient accablée. 

Plusieurs raisons expliquent un tel succès de l’artiste, parmi elles compte la rareté des œuvres présentes sur le marché, en effet à peine 60 tableaux lui sont formellement attribués, la plupart étant conservés dans des musées. Notons également un fort renouveau du goût du public pour la peinture ancienne, qui réalise de beaux prix sur le marché. Enfin, ces enchères vont de pair avec un nouveau souffle donné aux artistes femmes de toute époque. Ainsi, le musée d’art de Baltimore n’achètera en 2020 exclusivement des œuvres d’artistes femmes, pour compenser le manque de parité de ses collections. C’est le moment idéal pour faire réévaluer vos œuvres !

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