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Interview : Comment conserver et restaurer des papyrus ?
Vous possédez des papyrus ? Au travers de cette interview, Eve Menei, conservatrice-restauratrice d’œuvres graphiques et de papyrus, vous fait part de ses conseils pour conserver ou faire restaurer vos papyrus.
Eve Menei suit des études d’égyptologie puis un cursus en restauration du patrimoine à l’Institut national du patrimoine. Prise de passion pour l’Egypte, elle se spécialise en restauration d’œuvres graphiques et de papyrus et se forme notamment à la Villa Médicis, où elle est pensionnaire pendant 6 mois, à la Bibliothèque National d’Autriche et au British Museum de Londres. Depuis 1991, elle travaille essentiellement avec des musées français et étrangers (Louvre, Suède, Egypte, Turin…) et participe à des missions archéologiques.
Quelles sont les spécificités du papyrus ?
Le papyrus est composé de tiges végétales de la plante Cyperus Papyrus. Les bandes végétales sont superposées en deux couches orthogonales (horizontales et verticales) régulières puis le tout est pressé. On obtient un matériau très résistant et souple (il est facilement pliable) mais plus cassant que le papier, qui est également composé de cellulose mais feutrée et raffinée.
Sous quelles formes trouve-t-on le papyrus ?
On trouve le papyrus sous forme de rouleaux et de feuilles. Le papyrus était fabriqué en feuilles reliées par des joints pour former des rouleaux. Jusqu’à l’époque chrétienne, les livres étaient formés par ces rouleaux de papyrus, divisés en colonnes équivalant à des pages. Pour écrire une lettre, le scribe découpait un morceau de rouleau, contenant parfois un joint. Jusque dans les années 1960, les archéologues découpaient les “pages” des rouleaux pour les mettre à plat, ce qui ne se fait plus aujourd’hui.
D’où proviennent les papyrus ?
La technique du papyrus a été inventée par les Egyptiens. Pour pousser, le Papyrus nécessite des conditions particulières (milieu marécageux, ensoleillé et avec des ressources en eau) : il ne pousse donc à l’état naturel et en quantité suffisante qu’en Egypte.
On en trouve aussi en petite quantité en Italie, près de Syracuse, et en Amérique du Sud où la technique du papyrus était inconnue.
C’est donc l’Egypte qui a fourni l’essentiel du bassin méditerranéen, jusqu’au Moyen-Âge où certains rares exemplaires datant des VI-VIIe siècles sont conservés aux archives nationales.
Comment dater un papyrus ?
Nous travaillons avec des archéologues et spécialistes pour dater et connaître la provenance des papyrus : le lieu de la fouille bien sûr, mais aussi ce qui est écrit sur le papyrus est un indicateur de leur origine, de même que la structure du matériau (espacements des bandes propres à une période).
Existe-il plusieurs qualités de papyrus ?
De même que pour la production de papier, il est probable que la qualité du matériau se soit dégradée à mesure que la quantité produite a augmenté. C’est difficile à justifier car la plupart des papyrus de mauvaise qualité n’ont pas été conservés jusqu’à nos jours.
On trouve néanmoins des papyrus qui, après 500 ans dans le sable, ont conservé leur souplesse, tandis que d’autres sont très cassants et brunis.
Quelles sont les encres utilisées ?
A l’époque égyptienne, les deux encres utilisées étaient l’encre de carbone noire et l’encre rouge (ocre rouge obtenu à partir d’oxyde de fer), très résistantes. Elles étaient utilisées sous la forme de galets (comme pour la peinture à l’eau pour enfants) à l’aide de pinceaux végétaux. A partir du IIIe siècle avant JC, les encres métallo galliques, plus corrosives, sont aussi utilisées.
On trouve également des pigments minéraux, dont le bleu égyptien (se déclinant en bleus et verts) et plus tard des pigments proches des colorants textiles, utilisés dans les enluminures.
La feuille d’or n’est utilisée que dans le cas de commandes spéciales pour des élites et plutôt pour des détails (pour illustrer les bijoux d’une reine, par exemple).
Qu’est-il écrit sur les papyrus ?
On trouve des textes écrits en plusieurs langues pour les papyrus : les langages et écritures égyptiens, mais aussi du grec, de l’arabe, du copte, et des langues anciennes du Moyen-Orient (araméen, hébreux, persan…).
Certains scribes étaient aussi spécialisés dans les enluminures, pour illustrer en couleurs les livres des morts ou les textes religieux.
D’autres papyrus étaient des illustrations à part entière : on conserve à Turin un panneau représentant des scènes érotiques.
Comment conserver un papyrus ?
L’idéal est de sauvegarder les conditions dans lesquelles le papyrus a été naturellement conservé. Il faut absolument éviter les variations de températures et privilégier un environnement sec.
Il est généralement mis à plat et monté entre deux plaques de verre, ce qui évite les manipulations abîmant le papyrus. C’est aussi plus simple à transporter, d’autant plus que l’on ne sait généralement pas re-rouler les papyrus. Si la manipulation est nécessaire, il faut le faire avec des gants et de manière très précautionneuse.
Lors de fouilles, les archéologues et conservateurs avaient pour usage de dérouler les rouleaux de papyrus et de les mettre à plat, voire d’en découper les pages. Aujourd’hui, on essaye de développer des techniques scientifiques pour pouvoir lire les papyrus sans les dérouler, et on garde par ailleurs les rouleaux entiers. Cela concerne aussi les quelques papyrus carbonisés retrouvés par exemple à Herculanum.
Quelles sont les altérations les plus fréquentes pour les papyrus et comment les traiter ?
Les altérations les plus fréquentes sont dues au vieillissement, aux conditions de conservation (antérieures ou postérieures à la trouvaille), à la manipulation (que l’on évite au maximum) et aux interventions inadaptées. En tant que restaurateur, on peut intervenir très ponctuellement avec des matériaux réversibles et ayant une résistance égale à celle du papyrus (un matériau plus dur pourrait engendrer une fragilité autour de l’intervention). On interviendra éventuellement sur le support, très rarement sur le média (l’écrit).
Il est important de noter que les papyrus, de par leur âge et leur composition, sont des supports extrêmement fragiles sur lesquels nous agissons a minima. Nous essayons donc principalement de stabiliser l’état dans lequel ils ont été trouvés et naturellement conservés.
Craquelures, déchirures et déformations
En vieillissant ou suite à un choc thermique ou physique, le papyrus peut se déformer, se craqueler ou se déchirer. Il peut aussi présenter des signes d’affaiblissement visibles : au niveau des fibres (aspect chevelu sur les bords ou la surface), décollement des deux couches de fibres entre elles…
Si certains papyrus présentent ces altérations lors de leur découverte, il est possible de les prévenir en évitant la manipulation du matériau et en en optimisant les conditions de conservation.
Les restaurateurs peuvent intervenir localement et très ponctuellement. Pour une craquelure, on peut apposer une languette très mince (1x5mm) de papier japonais dans le sens des fibres. Dans le cas d’un soulèvement, on peut déposer une très fine couche de colle d’amidon de blé au papyrus.
La corrosion des encres
Tandis que les encres carbones agissent peu sur le matériau et sont durables, les encres métallo galliques peuvent avoir un effet corrosif sur le support : elles brunissent, imprègnent le papyrus et le ronge. On a, par exemple, retrouvé des papyrus coptes percés et brûlés par les encres.
Bien que l’on agisse essentiellement sur le support, on peut consolider localement l’encre pour éviter les chutes de matières et ralentir les dégradations. On n’intervient en revanche pas dans le cas de lacunes dans les écrits ou les illustrations.
Les conditions de conservation
Le papyrus est sensible aux insectes et rongeurs, particulièrement friands de cette matière végétale. Conserver les papyrus sous verre, mais aussi dans des endroits aérés et secs permet de les éloigner au maximum. Si l’on peut traiter la présence d’insectes, leurs effets ne sont cependant pas réversibles (matériau mangé, émiettement, trous, lacunes…).
Le matériau est aussi sujet aux dégradations organiques, comme les bactéries, ou la pourriture (plutôt que les moisissures), qui peut se développer postérieurement dans des musées ou dans des zones humides et dont les effets ne sont pas non plus restaurables. Nous nous assurons donc que le lieu de conservation est sec, et l’on peut éventuellement consolider le papyrus en le doublant avec un support de papier japonais, pour éviter l’apparition de tensions et d’altérations sous-jacentes.
Les anciennes restaurations inadaptées
Enfin, une très grande partie des altérations et liées à d’anciennes interventions de consolidation et de restauration, souvent inadaptées au support, longtemps assimilé à tort à du papier voire du parchemin.
Au XIXe siècle notamment, on avait tendance à consolider le papyrus en le collant sur un carton rigide ou sur une toile, ce qui menait à la séparation entre les couches supérieures et inférieures du papyrus et à la perte de matière.
D’autres consolidations réalisées en surface altèrent aussi le papyrus, en particulier l’usage de vernis et résines trop rigides ou en quantité trop imposante.
Nous remercions très chaleureusement Eve Menei pour cette interview et ses conseils de conservatrice-restauratrice. Les photographies nous ont été aimablement transmises par Eve Menei. Vous pouvez le contacter via son site.
Si vous possédez des papyrus ou toute autre œuvre graphique et que vous souhaitez les faire estimer, n’hésitez pas à remplir notre page dédiée à l’estimation des œuvres graphiques.
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