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Interview : Qu’est-ce que la conservation-restauration d’œuvres graphiques ?
Vous possédez un dessin, une gravure ou une estampe ? A travers cette interview, Nathalie Bassis-Silvie, restauratrice d’œuvres graphiques, vous conseille pour conserver vos œuvres sur papier.
Nathalie Bassis-Silvie est restauratrice d’œuvres sur papier depuis 1995. Diplômée d’une maîtrise en restauration à Paris I, elle travaille deux ans et demi dans un musée en Norvège avant d’installer son atelier à Paris en 1998, qu’elle tient pendant une dizaine d’années. Nathalie se consacre aujourd’hui au conseil en conservation préventive auprès d’institutions, et enseigne à mi-temps la préservation du patrimoine dans un lycée professionnel.
Nous avons recueilli ses propos autour de la conservation-restauration d’œuvres graphiques.
Qu’est-ce que la conservation préventive d’œuvres graphiques ?
Il s’agit d’agir sur différents éléments pour éviter la dégradation des œuvres graphiques : conditionnement (protection optimale contre la poussière, la lumière, l’acidification avec des papiers à de conservation à réserves acides), dégradations environnementales (variations hygrométriques et thermiques, pollution), dégradations humaines (reprise des mauvais montages et conditionnements).
Les œuvres graphiques sont sensibles aux supports acides (acidification du papier qui se ronge), à la lumière (décoloration des pigments, colorants, et papiers), à la poussière (terrain nutritif pour les moisissures et insectes).
Quelles sont les problématiques récurrentes en termes de restauration ?
Les demandes de particuliers sont souvent d’ordre esthétique (tâches, piqûres), celles de musées touchent au remontage d’œuvres mal montées.
Notre principale mission auprès des institutions est de prévenir les dommages et de stabiliser l’état des œuvres. Certaines interventions spectaculaires sont possibles (supprimer des tâches par exemple), mais sont invasives et fragilisent à long terme le support. D’autant plus que le défaut est aujourd’hui un élément qualitatif de l’objet. Éthiquement, nous ne pouvons pas toujours agir au risque de dénaturer l’œuvre : à titre d’exemple, nous ne pouvons pas coloriser une dépigmentation.
Dans le cas d’intervention, nous préférons des méthodes réversibles et appropriées à chaque support.
Quelles sont les difficultés de la restauration d’œuvres graphiques ?
A la différence de la peinture, le papier (le support) et le média (ce qui est représenté sur le papier) sont très imbriqués et l’on doit tenir compte de l’ensemble de la pièce pour intervenir : une déchirure du papier affecte le média ; les encres métallo galliques sont corrosives et attaquent le papier…
Il n’y a en général pas de couche protectrice entre le support et le média entre les retouches et l’original ; on ne peut donc pas revenir en arrière.
Quelles sont les techniques graphiques les plus fragiles et qui s’abîment le plus ?
Les techniques les plus fragiles sont celles de nature poudreuse (non fixées, sensibles aux frottements) : le pastel sec (typique du XVIIIe siècle), le fusain, les pastels, les craies.
D’autres techniques s’altèrent de par leur composition : encres métallo galliques (acidification), gouaches (modifications des teintes et liants, craquelures et écaillements au niveau des empattements). Les blancs de plomb peuvent devenir orange ou noir par réaction avec l’oxygène.
En revanche, les techniques les moins fragiles sont les aplats : les crayons (type mine graphique), les estampes (lithographies, sérigraphies), les encres (noires, de Chine ou carbone), les aquarelles (si elles ne sont pas exposées à la lumière).
Quels sont les supports les plus fragiles ?
Les supports les plus fragiles sont les papiers du mi-XIXe siècle (journaux, papiers de récupération), faits de pâte de bois et d’encollage très réactifs et tous deux acides, ainsi que les calques de l’époque (oxydation, cassants…).
Les papiers des XIII au XVIIIe siècle sont délicats à manipuler de par leur âge, mais leur matière organique s’altère moins vite.
Les papiers actuels sont en général résistants et durables car fabriqués en connaissance de causes (réserves alcaline, pâte chimique ou blanchie).
Comment bien conserver ses dessins et estampes ?
Il faut les préserver de la lumière, de la poussière, et de l’humidité : évitez donc les caves et greniers et vérifiez régulièrement l’état de vos pièces (insectes, tâches) en les aérant.
Utilisez des matériaux de conservation si possible : support solide (pochette ou carton à dessin non acides), à séparer du dessin avec du papier permanent de conservation.
Isolez vos plus belles pièces des autres (rangement individuel).
Faut-il utiliser un cadre ?
Le cadre est préconisé pour une conservation optimale des pastels. Cela dépend sinon de la nature et du type d’œuvre : soyez pragmatiques et n’hésitez pas à prendre conseil auprès d’un professionnel.
Attention aux vieux encadrements des XIX et XXe siècle composés de cartons acides en contact avec les œuvres, et avec les cadres non étanches (condensation tachant l’œuvre).
Comment manipuler un dessin sans l’abîmer ?
On préconise en général le port de gants pour éviter l’acidification par les doigts. Néanmoins, s’ils ne sont pas adaptés, les gants peuvent favoriser les dégradations (pliures, déchirures, cornages…). Bien vous laver les mains avant manipulation peut suffire.
Comment éviter les insectes ?
Les insectes peuvent dégrader les papiers en les mangeant ou en les tachant. Ils peuvent être indiqués par la présence de poudre brune.
Le conditionnement est un frein aux insectes. Évitez les étagères en bois qui attirent les insectes et veulent pénétrer dans les substrats.
De manière générale, les insectes sont attirés par les restes d’aliments avoisinants : gardez vos lieux de conservation propres et évitez de stocker vos dessins au même endroit que la nourriture.
Quelles sont les déchirures réparables ?
Toutes les déchirures sont réparables mais certaines seront toujours visibles après restauration (phénomène de rétraction-dilatation déformant irréversiblement le papier).
Certains restaurateurs travaillent les fibres et les nettoient voire les remplacent. Ces interventions sont en revanche proscrites pour des œuvres de musées.
Comment stabiliser l’acidité d’un papier ?
On peut réduire les risques d’acidification des papiers avec des papiers de conservation à réserve alcaline, qui absorbent les acides contenus dans le papier.
Dans le cas de jaunissement, nous essayons de sensibiliser les clients sur les impacts des interventions sur les médias plus que sur le papier.
On peut réaliser des traitements simples et ponctuels (traitements aqueux, réserve alcaline), mais on évite les traitements d’acidification ou de blanchiment (changement de teinte, dépôts en surface, fragilisation…). Dans de rares cas, les archives ou bibliothèques nationales font des traitements de masse de désacidification.
Comment éviter les taches d’humidité et les moisissures ?
Encore une fois, il faut être vigilant sur les conditions de stockage : lieux confinés, empoussiérés (nutriment), humides ou à températures ambiantes favorisent le développement des moisissures.
Certaines compositions de papiers sont plus sujettes aux moisissures, comme les encollages à la gélatine. Les moisissures se développent souvent au réseau, au niveau des marges par exemple.
Nous remercions très chaleureusement Nathalie Bassis-Silvie de cette interview et le partage de son expertise de conservatrice-restauratrice d’œuvres graphiques. Les illustrations nous ont été aimablement transmises par Nathalie.
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