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L’école de Crozant

Moins connue que l’école de Barbizon ou encore celle de Pont-Aven, auxquelles les grandes institutions culturelles ont consacré nombre d’expositions, l’école de Crozant a pourtant marqué l’aventure picturale du XIXe siècle. Comme les deux premières, elle souffre d’un titre apocryphe, donné a posteriori par les historiens. En réalité l’école de Crozant décrit les artistes plus ou moins connus qui durant près d’un siècle (de 1830 à 1930 environ) ont été actifs dans la vallée de la Creuse et qui y ont trouvé, dans cette région pourtant isolée de l’effervescence artistique parisienne, une source d’inspiration pour une peinture de paysage sur le motif.

Origine de l’attrait pour la vallée de la Creuse : la place de George Sand 

La littérature

La vie rurale est, dès les années 1830, le sujet de nombre de romans pastoraux et champêtres écrits et publiés, entre autres, par Jean-Jacques Rousseau et George Sand (1804-1876). George Sand, née Aurore Dupin, grandit dans le village de Nohant auquel elle restera attachée toute sa vie et où elle séjournera plusieurs fois, en compagnie d’écrivains, d’aristocrates et d’artistes. Elle possède en outre, depuis 1857, une maison non loin à Gargilesse-Dampierre. Elle évoque la région, notamment les villages de Nohant et de Fresselines, dans plusieurs de ses romans tels Lettre d’un voyageur, Le péché de Monsieur Antoine ou Jeanne, contribuant à attiser l’attrait pour la vallée de la Creuse qui accueille alors de nombreux peintres : durant près d’un siècle, cinq-cents peintres au moins ont fréquenté les lieux, ensuite renommés « la Vallée des Peintres entre Berry et Limousin ». George Sand écrit beaucoup sur la vallée de la Creuse, en découvrant Crozant, elle est émerveillée : 

Tout y enflamme l’imagination… tout y serre le cœur ! (…) Le peintre ne sait où s’arrêter !

George Sand

La première vague d’artistes 

Au-delà de la littérature, George Sand réalise plusieurs aquarelles représentant la vallée des peintres, ses lumières subtiles et changeantes, les reliefs colorés et la forteresse qui domine le confluent. Parallèlement, d’autres peintres paysagers, les premiers tenants du « pleinairisme » qui formeront plus tard l’école de Barbizon, comme les frères Jules et Victor Dupré qui travailleront ensemble à la lisière du Berry et du Limousin, Théodore Rousseau (1812-1867), le grand observateur de la nature qui se formera dans la « vallée des peintres » à la peinture de paysage sur le motif et Constant Troyon (1810-1865), qui passe à Crozant avant de se rendre en Bretagne. 

Crozant et l’impressionnisme 

Claude Monet

Claude Monet, Soleil sur la petite Creuse,
Claude Monet, Soleil sur la petite Creuse, 1889, Collection particulière. 

Après le passage de ces premiers peintres paysagistes héritiers du travail de John Constable, s’établissent à Crozant et dans la vallée des peintres les tenanciers de la peinture moderne, comme le grand Claude Monet qui s’installe à Fresselines sous les conseils de son ami et critique Gustave Geffroy. Là, entre mars et mai 1889, Monet y réalise une série de vingt-six toiles prenant pour thème le Confluent des deux Creuses, l’un des panoramas privilégiés des peintres, car il offrait un équilibre parfait entre lumière et couleur, réverbération et profondeur, ainsi qu’une perspective déjà toute tracée. 

Léon Détroy (1859-1955), « l’ermite de Gargilesse » 

Léon Détroy, Confluent de la Creuse
Léon Détroy, Confluent de la Creuse, une huile sur toile adjugée plus de 16 000 euros chez Limoges Enchères en 2019. 

Artiste formé à Paris dans l’atelier de Jean-Paul Laurens, Détroy est considérablement marqué par la littérature de George Sand, notamment Promenades autour d’un village publié en 1857, qui l’incite à s’installer dans la Creuse, à Gargilesse où il achète une maison. Il s’y lie d’amitié avec Maurice Gollinat, ami de George Sand et de Claude Monet, et contribue à la formation de la colonie d’artistes nommée postérieurement école de Crozant. Il explore à Gargilesse des styles différents, de l’impressionnisme au fauvisme en passant par le pointilliste : techniques et couleurs s’inspirent de ses nombreux voyages et de sa soif de peindre. Détroy est resté toute sa vie à l’écart des Salons parisiens et a longtemps souffert d’une méconnaissance de la part des amateurs et du grand public. Ce n’est plus le cas, ses toiles se vendent bien, notamment celles de la période creusoise : Paysage creusois en automne, a atteint les 18 000 euros au marteau en 2019 chez Damien Libert à Drouot.

Armand Guillaumin : le maître des lieux 

Armand Guillaumin (1841-1927) développe son goût pour la peinture de paysage auprès de Pissarro à Pontoise. Il devient par la suite l’un des plus éminents membres du mouvement impressionniste, participant à six des huit expositions qui leur sont consacrées. Ami de Van Gogh et de Cézanne, proche de Degas et Gauguin qui sont ses témoins de mariage, il contribue à faire de Crozant (où il habite à partir de 1893) l’un des centres de la création artistique contemporaine. Durant près de trente ans, Guillaumin peint des paysages creusois dans toute leur variété, enrichissant peu à peu les couleurs de sa palette (usant de rouge, de jaune et de vert flamboyants) et raccourcissant sa touche pour lui donner une vivacité neuve.

Armand GUILLAUMIN, Paysage de neige à Crozant
Armand GUILLAUMIN (1841-1927), Paysage de neige à Crozant, vers 1895, huile sur toile, 60 x 73 cm © MuMa Le Havre/David Fogel

Il était également un véritable amoureux de la région, dont il parle dans ses correspondances :  

Qu’il existe au monde un pays aussi beau que Crozant c’est possible, mais plus beau, je ne peux le croire

Armand Guillaumin

Les toiles d’Armand Guillaumin sont particulièrement recherchées, notamment celles de ses périodes creusoise et parisienne et lorsqu’elles passent en vente, les enchères s’envolent : Pâturage des granges, Crozant, vers 1896, a été vendue plus de 110 000 euros chez Sotheby’s à New York en 2006. 

Outre Détroy et Guillaumin, de nombreux autres peintres vont travailler à Crozant et aux alentours, parmi lesquels Paul Sérusier et Francis Picabia. En 1926 pourtant, les bords de Creuse tant aimés des peintres sont noyés par un barrage : les gorges profondes et les grottes millénaires disparaissent au profit d’une zone touristique, les peintres n’y viennent donc plus et recherchent ailleurs l’authentique et la nature sauvage. 

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