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Qu’est-ce que l’art cinétique ?
Dès les débuts de la Renaissance, les relations qu’entretiennent les arts et les sciences fascinent autant les commanditaires que les artistes qui produisent des automates extrêmement sophistiqués, destinés à éblouir autant qu’à distraire le public. C’est aussi une époque qui voit le monde comme l’ultime création d’un dieu horloger, ayant construit les rouages et le mécanisme de l’univers comme celui d’une horloge. Cinq siècles plus tard, l’art cinétique bouleverse de nouveau les rapports qui existaient entre l’œuvre et le spectateur, en conquérant de nouveaux champs : l’espace et le mouvement, tout en tissant de forts liens avec la mécanique et la poésie, deux domaines apparemment opposés.
Le mot cinétique, à l’étymologie grecque, signifie « qui met en mouvement » ou « qui est en mouvement ». Dans son acceptation la plus large, l’art cinétique renvoie à tout art plastique et visuel fondé sur le mouvement. Les œuvres cinétiques sont animées de mouvements, mais sont inanimées : l’art vivant ne rentrant pas dans le cadre de l’art cinétique.
Les pionniers :
Naum Gabo (1890-1977)
Au début du XXe siècle, certaines théories futuristes puis constructivistes, telles celles portées par Naum Gabo considèrent que le mouvement comme une analogie de l’action de l’art dans la société. Le sculpteur et architecte russe pose les bases d’un véritable manifeste pour l’art cinétique, qui trouvera son application concrète dans La construction cinétique (Vague dressée), une œuvre datée de 1919-1920, dont on connait une réplique datée de 1985 et conservée à la Tate Gallery de Londres. Cette œuvre consiste en un unique ruban de métal dont les oscillations rapides créent l’illusion d’une mince et longue forme tridimensionnelle. Le titre, Vague dressée est emprunté au langage de la physique, familier à Naum Gabo, qui avait étudié la science et l’ingénierie.
Lázló Moholy-Nagy (1895-1946) :
Il s’agit des premiers balbutiements d’un art qui va s’épanouir sous différentes formes. Certaines œuvres, comme le Modulateur espace lumière de Lázló Moholy-Nagy, réalisée en 1930, s’inscrit dans la droite lignée des automates de la Renaissance. Cette œuvre, formée de pièces de métal, de bois et de plastique donne forme et mouvement grâce à ses mouvements circulaires à la lumière projetée sur ses différentes surfaces. L’artiste l’identifiait comme de la transparence en action. Ce Modulateur ouvre aussi la voie à une plus grande interpénétration des liens entre l’œuvre et le public.
Alexander Calder (1898-1976).
Les mobiles d’Alexander Calder, avec leurs formes colorées suspendues à des fils et tournoyant dans les courants d’air trouvent leur origine dans les recherches menées par les grandes avant-gardes du début du siècle sur l’inconscient. Les mouvements aléatoires et hypnotiques de ces formes se déployant dans l’espace rappellent songes et rêveries, suspendus au plafond de manière presque invisible. Calder y introduit non seulement le mouvement, mais aussi le vide. Le mouvement est capital dans l’œuvre de l’artiste, qui va tenter de le créer par des transformateurs et des machines avant de laisser l’œuvre évoluer par elle-même, de manière naturelle par inertie.
L’élément cinétique, dans ces trois exemples, relève d’interprétations différentes des relations entre l’art et son environnement. Ils n’en sont pas moins des éléments fondateurs pour l’art cinétique à venir, illustré par les sculptures de Jean Tinguely, qui s’ébattent sur la fontaine près du Centre George Pompidou à Paris ou encore les Eclats Cosmiques de Lilian Lijn.
Victor Vasarely et l’art du mouvement fictif
Victor Vasarely prend le contre-pied des œuvres mouvantes d’Alexandre Calder en ouvrant l’art cinétique à un nouveau champ d’action : celui des œuvres plastiques immobiles qui feignent le mouvement. Il utilise pour ce faire des processus d’illusion psychophysiologiques pour que le spectateur voie en mouvement ce qui ne l’est pas en réalité. Il utilise ainsi des superpositions de feuillets translucides ou colorés qui rendent des effets mouvants comme dans Vega, une toile de 1956 conservée dans une collection particulière et avait été l’un des fleurons de l’exposition “Victor Vasarely” au Centre Pompidou en 2019. Son travail est également qualifié d’art optique ou “Op Art”
Le G.R.A.V.
Le G.R.A.V., le Groupe de Recherche en Arts Visuels est formé par plusieurs artistes liés aux mouvements de l’art optique et de l’art cinétique, qui souhaitaient désacraliser l’art et la figure de l’artiste, arguant que “la capacité à s’émouvoir appartient à tout le monde” (Julio le Parc). Parmi eux, François Morellet, Joël Stein, Yvaral (le fils de Victor Vasarely) et d’autres. Ils tentent de solliciter la vision périphérique des spectateurs, ce qui crée chez le public un sentiment mêlé de curiosité et de dépréciation. En revanche, leur désir de tisser des liens plus forts entre le spectateur et l’œuvre a été loué. Cette volonté les poussera à inciter le public à manipuler les œuvres : Yvaral concevant des sièges basculant aux Tuileries en 1966, Le Parc des dalles mobiles à Montparnasse. Dépassant les recherches sur le mouvement, il s’agit pour ces artistes de fusionner l’art et la vie.
Nicolas Schöffer : cybernétique et musique des couleurs
L’artiste hongrois Nicolas Schöffer (1912-1992) construit quant à lui plusieurs plans dans l’espace, qui servent de réflecteurs, et dont la structure joue comme une sorte d’anamorphose en trois dimensions. Porté par la révolution cybernétique, Schöffer crée des sculptures aux déplacements régulés en fonction des sons, des couleurs et des intensités lumineuses, qui semblent donc se mouvoir selon leur propre initiative.
En 1961, il conçoit la Tour cybernétique de Liège, une œuvre monumentale équipée de microphones, de capteurs de lumière, d’un hygromètre et d’un anémomètre (mesurant la pression du vent), qui tous collectaient des données. Après l’analyse de ces données, la tour les traduisait par le mouvement de ses plaques polies, par des jeux de lumière et par des séquences sonores, ayant même la possibilité d’innover de manière aléatoire dans les mouvements. Cette œuvre lumino-cinétique était désactivée, faute d’entretien, dans les années 70, puis profondément restaurée. Elle a été réinaugurée en 2016.
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