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Migration et exil des artistes
Le voyage a toujours fait partie de la formation et du cheminement des artistes européens et l’étude des migrations culturelles est au centre des recherches en histoire de l’art. À la chute de l’Ancien Régime, certains mécanismes en place auparavant subsistent, comme le Grand Tour ou l’immigration des artistes ultramontains en France, mais la nature des migrations et voyages d’artistes se transforme à l’aune des grandes guerres mondiales. Le sort des artistes est noyé dans celui de milliers d’autres, inconnus, qui cherchent la sécurité hors des frontières de leur pays. Aujourd’hui, les larges migrations de populations en danger sont au cœur des questionnements sociétaux, politiques, mais aussi artistiques. Comment les comprendre et les appréhender ? Rapide tour d’horizon des voyages, migrations et exils artistiques du Moyen Âge à nos jours.
Des artistes itinérants allant de chantier en chantier
L’itinérance des artistes au Moyen Âge a été remarquablement traitée par Sophie Cassagnes-Brouquet. En effet, loin de l’imaginaire de l’artiste médiéval enfermé dans son scriptorium toute sa vie durant, il faut considérer les nombreux échanges qui avaient cours (le XIIIe siècle est ainsi surnommé par Georges Duby le « siècle de la route »). Si certains passaient toute leur carrière dans la même ville, de nombreux ateliers sont itinérants, en particulier pour les métiers de la construction qui suivaient les chantiers : maçonnerie, sculpture et peinture murale (la construction était en effet l’un des plus grands secteurs de l’économie médiévale après l’agriculture et le textile). C’était déjà le cas pour les artistes du XIIe siècle qui travaillaient aux grands chantiers des cathédrales, ça l’est aussi à la fin du Moyen Âge, lorsqu’apparaissent de riches cours ducales ou princières qui se partagent les meilleurs artistes du royaume et se font construire châteaux et églises, comme la chartreuse de Champmol à Dijon.
Les artistes de cour
Dans le lent processus pour surmonter la condition sociale d’artisan, certains artistes de l’Europe de l’Ancien Régime obtiennent le privilège de travailler de façon « libre », c’est-à-dire hors des règles de la corporation et bénéficient souvent, outre de la confiance de leur riche mécène, d’une pension allouée au lieu de paiements réalisés pour chaque travail, ce qui leur apporte une stabilité financière en plus d’une ascension sociale. Ce mécanisme hérité d’Italie a poussé les rois français de la première renaissance à faire venir auprès d’eux des artistes ultramontains. Charles VIII ne ramène pas de peintres ni de sculpteurs d’Italie, mais des maçons, des fontainiers, des jardiniers afin qu’ils puissent recréer le charme et le confort des Palazzi italiens. François Ier quant à lui s’entoure d’artistes italiens à Fontainebleau : Rosso Fiorentino, Primatice, Benvenuto Cellini ou Léonard de Vinci à la fin de sa vie. Certains artistes vont de cours en cours, comme Peter Paul Rubens, qui en plus de son métier de peintre, achète et commande des œuvres à ses contemporains pour le compte des plus grands seigneurs d’Europe.
Le Grand Tour des artistes
Le grand Tour désigne habituellement le voyage mené par les jeunes nobles français et anglais du XVIIe et XVIIIe siècle, qui partaient notamment en Italie se former aux antiques et aux arts de la Renaissance. On peut également appliquer ce terme aux voyages d’initiation et de formation des artistes européens qui parcourent la péninsule italienne et travaillent d’une ville à l’autre et explorant, hors des villes, les ruines encore méconnues et les sites archéologiques. D’autres artistes, comme Charles Nicolas Cochin ou Fragonard accompagnaient et guidaient les riches voyageurs, leur indiquant quoi acheter et à quel prix. Ces grands tours des artistes ont considérablement marqué l’histoire de l’art. Au contact d’artistes et de théoriciens étrangers se sont ainsi formées les évolutions les plus décisives des arts visuels occidentaux : goût pour l’antique, regain pour le palladianisme ou le néoclassicisme, art néo-florentin, etc.
Quand le voyage devient exil
À la Révolution française, un certain nombre d’artistes très liés aux grandes figures de l’Ancien Régime durent fuir le pays. Ce fut notamment le cas de la peintre Élisabeth Vigée-Lebrun dont l’hôtel particulier a été mis à sac par les sans-culottes. Elle quitte Paris, déguisée pour éviter les persécutions. Son exil n’est cependant pas trop difficile : en arrivant à Rome, elle effectue son Grand Tour, reste un peu à Venise puis parcourt l’Europe en triomphe grâce à ses talents de peintre, allant jusqu’en Russie puis à Londres et en Suisse. Elle retournera en France peu avant la restauration de l’Ancien Régime.
Les grands bouleversements géopolitiques du XXe siècle et les deux guerres mondiales ont amorcé des départs souvent sans retour d’exilés hors de leurs patries. De la première émigration russe, dont sont issus nombre d’artistes de l’École de Paris (Henri Epstein, Chaïm Soutine) à la fuite aux États-Unis sous le fascisme d’artistes juifs fuyant les pogroms ou encore des figures de proue de l’art « dégénéré », les transferts culturels deviennent exils et la France est au carrefour de ces migrations artistiques et intellectuelles (aujourd’hui très bien étudiées par l’histoire de l’art).
Depuis le début du XXIe siècle le monde méditerranéen est le théâtre de troubles religieux et géopolitiques que doivent fuir, pour leur sécurité autant que pour garantir leur liberté d’expression, nombre d’artistes et d’intellectuels dans le cadre de mouvements de population massifs. Pour continuer à faire entendre les cultures de ces pays en péril, des lieux s’organisent, comme l’Atelier des artistes en exil à Paris, qui identifie, accompagne et expose des artistes de toutes origines et de toutes disciplines afin de les mettre en relation avec tout un réseau de professionnels français et européens. L’un d’entre eux, Brisly Diala, est une artiste peintre d’origine syrienne ayant grandi à Damas. Opposée à la dérive politique de son pays, elle crée, alors qu’elle est encore à Damas, une œuvre murale en soutien à la grève de la faim des femmes enfermées dans la prison d’Adran, entraînant la libération de 23 détenues. Elle se réfugie aujourd’hui en France où elle crée et fait vivre la culture de son pays.