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Qui sont les peintres Nabis ?
Nabi signifie « prophète » en hébreu. Le prophète est Paul Sérusier, ses adeptes de jeunes peintres issus pour la plupart de l’Académie Julian et leur évangile est une transformation totale de la peinture. Il s’agit pour Paul Sérusier de transmettre à ses suiveurs et élèves les préceptes de son maître Paul Gauguin, qu’il venait de rencontrer en Bretagne. À savoir, ne garder que l’essentiel du motif et de la composition, remplacer l’image par son symbole et surtout, idée fondatrice pour les arts du XXe siècle, subtiliser la représentation naturaliste de la peinture par l’idée subjective que le peintre se fait de cette nature. Qui sont donc ces prophètes aux innovations prémonitoires pour l’art du siècle à venir ?
La modernité commence à Pont-Aven
Le groupe nodal de l’Académie Julian
Les nabis tout comme les fauves après eux, représentent un groupe d’individus disparates réunis autour de recherches communes et de deux figures tutélaires, Paul Gauguin et Paul Sérusier, plutôt qu’un véritable mouvement clamant un programme esthétique commun.
Sérusier rencontre Gauguin en septembre 1888, juste après que ce dernier ait élaboré ses dernières thèses picturales, le Cloisonnisme et le Synthétisme. Déjà imprégné d’une grande spiritualité, Sérusier est bouleversé par les thèses de Gauguin et peint alors Le Talisman, paysage au bois d’amour, une huile sur bois réalisée à Pont-Aven en 1888 sous la direction de Gauguin et revient à Paris muni de ce fond de boite à cigares recouvert d’aplats de couleurs pures. À l’Académie Julian où il enseigne, il convertir à cette nouvelle esthétique ses jeunes élèves, Pierre Bonnard, Maurice Denis, Henri-Gabriel Ibels et Paul-Elie Ranson, bientôt rejoints par Roussel et Vuillard, puis Maillol et Vallotton en 1892.
Dès le début, le caractère sacré, spirituel et la dimension initiatique des Nabis sont profondément affirmés, d’autant plus que le Symbolisme en peinture imprègne déjà les élèves de l’Académie Julian, bien plus perméables aux innovations esthétiques que ceux de l’École des Beaux-Arts. Ces jeunes prophètes s’érigent contre l’impressionnisme et ses effusions qu’ils jugent superficiels pour tenter un retour aux sources pures de l’art.
Sources et théories de la peinture nabi
Ces nouvelles théories furent rapidement mises en lumière durant l’exposition du groupe « impressionniste et synthétiste » à l’Exposition Universelle de 1898, à l’ombre de la toute neuve tour Eiffel. Cette exposition ouvrira la voie à des discussions passionnées où étaient mises à plat toutes les nouvelles manières de peindre, selon les qualités de chacun. Le théoricien du groupe est Maurice Denis qui expose les grandes ambitions picturales des nabis dans un article écrit lorsqu’il avait à peine vingt ans, dont est tiré cette formule restée célèbre :
Ainsi, pour les nabis, la peinture est une réinterprétation de la nature, qui varie selon les choix opérés par chacun. Les grands dogmes du passé comme le naturalisme des couleurs ou encore la perspective et la science du modelé telles qu’elles sont enseignées depuis la Renaissance sont autant d’obstacle à la vérité de leur art.
Les nabis puisent leurs sources visuelles et leurs influences dans les vitraux médiaux, les estampes japonaises et la peinture égyptienne. Mais s’appuyant sur ces bases communes, ils créent des œuvres très diverses.
L’art décoratif et ornemental des nabis
« Le nabi très japonard »
Cette moquerie amicale émise non seulement par les peintres nabis mais aussi par Picasso désigne Pierre Bonnard. Avant d’être à nouveau surnommé le « peintre du bonheur », cet artiste inclassable emprunte ses motifs et ses compositions aux estampes japonaises, introduisant des arabesques colorées et le goût de la calligraphie dans la composition. L’un de ses plus grands chefs-d’œuvre est ainsi constitué d’une suite de quatre tableaux à la détrempe sur toile, conçus comme des volets de paravent, réalisé en 1891 et conservés au musée d’Orsay.
L’intérêt de Bonnard pour l’art japonais se manifeste ici par l’usage du format vertical répété et l’emploi de la détrempe à la colle, très utilisée au Japon, au lieu de la peinture à l’huile académique. Ces éléments donnent à voir une œuvre à la grâce intimiste et poétique qui se fait aussi sentir à cette époque dans les peintures d’Édouard Vuillard.
Les Nabis maîtres de la décoration
Les nabis adhèrent passionnément à cette formule de l’écrivain et critique Albert Aurier et participent au grand mouvement de réhabilitation de l’art décoratif. En levant la barrière qui sépare la peinture décorative et la peinture de chevalet, ils souhaitent réintroduire la notion de Beau dans le quotidien. En cela, ils s’intéressent tout particulièrement à l’affiche et à l’estampe et collaborent à de nombreux journaux (en particulier Bonnard, Ibels et Valloton), tandis que Maurice Denis s’essaie avec bonheur à l’illustration de livres, comme pour Le voyage d’Urien d’André Gide.
Ces artistes aux multiples facettes sont proches des milieux de la littérature et du théâtre, pour lequel ils conçoivent des décors, des affiches et des programmes, notamment pour le théâtre d’art de Paul Fort. Tous sans exception fourniront également des projets et dessins préparatoires pour des vitraux, comme Les Marroniers, d’E. Vuillard, un carton faisant partie d’un ensemble de vitraux commandé à certains artistes nabis par le marchand d’art Samuel Bing en 1894 afin d’être réalisés à New York et désormais conservés au superbe Dallas Museum of Art.
Les travaux sur les couleurs dont les rapprochements violents évoquent les fauves, les juxtapositions de points de vue différents que l’on retrouvera dans l’art cubiste, les jetés de taches de couleurs qui pavent le chemin de l’expressionnisme abstrait sont autant d’innovations et d’expérimentations prémonitoires qui étonnent par leur précocité, leur courage et leur beauté.
Les artistes nabis ont pour la plupart continué vers d’autres voies, participant toujours de leur mieux au renouveau de la peinture pour la faire sensible et proche de tous.
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