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L’orfèvrerie rocaille
Vers 1725-30 s’opère en France un changement de goût qui se traduit par l’épanouissement du style rocaille, dont le rococo est l’expansion internationale. La renommée de l’orfèvrerie française est alors internationale et les plus grands souverains d’Europe passent commande aux orfèvres français, telle Élisabeth d’Espagne à Claude II Ballin pour sa vaisselle et à Thomas Germain pour sa toilette. La France, et notamment Paris, foisonne d’orfèvres talentueux, dont certains incarnent réellement la première moitié du siècle. Parmi eux, l’ornemaniste Juste-Aurèle Meissonnier, Jacques Roëttiers et les Germain, dont le père Thomas est qualifié « d’orfèvre absolu ».
Juste-Aurèle Meissonnier (1695-1750)
Le style rocaille, auquel les contemporains préfèrent le terme de style pittoresque, trouve dans les arts décoratifs son champ d’application favori. À l’orfèvrerie notamment convenait parfaitement le caprice apparent des décors et des formes, à la composition constituée de courbes et contre-courbes résolument asymétriques. La plupart des maîtres orfèvres de la première moitié du XVIIIe siècle, limités dans leurs pratiques par les réglementations corporatives, se contentaient d’adapter des modèles déjà appréciés de la clientèle ou des compositions traduites en gravure dans des recueils d’ornements.
Juste-Aurèle Meissonnier, est alors l’ornemaniste le plus déterminant dans la diffusion des formes du rocaille, qu’il illustre dans son Livre d’ornements inventez et dessinez par J.O. Meissonnier publié en 1734. En tant qu’orfèvre du roi, il n’a exécuté que peu de pièces, il a surtout été un inspirateur qui par sa fougue et son esprit inventif a été l’un des fondateurs du style pittoresque.
Les Germain
Thomas Germain (1673-1748)
Thomas Germain, fils d’orfèvre, artiste connu et apprécié dès la Régence, fut l’un des fournisseurs les plus appréciés de la cour de France au point même d’être anobli, fait rarissime pour un artiste à cette époque. Vanté par Voltaire comme doté d’une « main divine ». Thomas Germain a lui aussi publié des recueils d’ornements, dont le plus célèbre. Les éléments d’orfèvrerie, daté de 1748 est un véritable répertoire de l’orfèvrerie rocaille. Germain exécuta majoritairement des œuvres profanes, mais aussi plusieurs pièces d’orfèvrerie religieuse, notamment pour le maître-autel de Notre-Dame de Paris. La cour du Portugal tenait l’artiste en très haute estime : à la mort de l’orfèvre, le roi Jean V fit célébrer une messe à sa mémoire.
Les deux Sceaux à bouteilles en argent conservés au Louvre, issus du célèbre service Penthièvre-Orléans, comptent parmi ses plus précoces réalisations rocaille (1727-28). Ces deux sceaux en forme de ceps de vigne sont formés d’un socle octogonal et d’une panse renflée qui leur donnent l’aspect de vases antiques dont la structure aurait été déformée. En effet, les talents d’architecte de Thomas Germain lui ont permis de ne pas céder à la grande tentation du rocaille : oublier la structure de l’ouvrage au profit de l’ornement. L’asymétrie des sceaux s’équilibre d’ailleurs lorsqu’ils sont présentés côte à côte. Tout en mouvement, ces deux sceaux sont recouverts d’un exubérant décor végétal de grappes et pampres de vigne traités de manière naturaliste et sur lesquels courent de petits escargots. Cette inventivité dans la composition fait de ces deux œuvres deux petites merveilles d’orfèvrerie.
François-Thomas Germain (1726-1791)
François-Thomas Germain, fils de Thomas, s’est rendu célèbre par les pièces qu’il réalisa pour les cours de France, de Russie et surtout du Portugal dont l’orfèvrerie royale avait été détruite dans le tremblement de terre de 1755. Pour remplacer les pièces disparues, le roi Joseph Ier passa commande à François-Thomas Germain (il s’agit de la plus importante commande d’orfèvrerie jamais passée par une cour étrangère à un artiste français). De celle-ci, le Louvre conserve deux ensembles majeurs : une paire de girandoles adaptée d’après un modèle paternel et un couvre-plat en forme de cloche et au décor cynégétique.
Le thème de la chasse, récurrent dans les services d’orfèvrerie de la première moitié du siècle, s’épanouit ici dans une composition pyramidale aux formes exubérantes et gracieuses, foisonnantes d’éléments décoratifs. L’activité de François-Thomas Germain se brisa dans une faillite retentissante, très certainement due à son impossibilité de résoudre la contradiction entre le caractère artisanal de son métier, strictement délimité par les cadres de la corporation, et ses commandes qui auraient nécessité une production presque industrielle.
Jacques Roëttiers
Jacques Roettiers ou Roëttiers est généralement considéré comme l’initiateur du retour à l’antique. Il fut cependant l’un des plus grands représentants du style pittoresque entre 1733, date de son accession à la maîtrise et 1757, lorsqu’il adopte pour la première fois un style plus apaisé dans la réalisation des sucriers de Louis XV. Dans le surtout de table réalisé en 1737 et destiné à Louis-Henri de Bourbon, Jacques Roettiers porte à son apogée l’art de l’orfèvrerie rocaille. Cette œuvre monumentale, en argent, originellement doté de quatre bras de lumière, était destinée à orner le centre de la table du prince de Condé. Il présente, comme c’était l’usage pour les surtouts, un décor cynégétique dans lequel les pelages et les expressions des animaux sont traités avec un grand naturalisme grâce à un travail de ciselure d’une qualité exceptionnelle, caractéristique de l’art de Roettiers. Les quatre piliers rocheux formant une arche sont quant à eux des éléments caractéristiques de l’art rocaille, accentués par la présence de deux larges coquilles et de l’aspect général de l’ensemble, aux formes chantournées et à l’ornementation abondante. Le fils de Jacques Roettiers, Charles-Nicolas, lui succéda et donna ses lettres de noblesse à l’orfèvrerie néo-classique.
En 1754, Charles-Nicolas Cochin fait paraître le premier manifeste pour un retour aux formes antiques en réaction aux excès du rocaille. Dans cette lettre ouverte, pompeusement intitulée « Supplications aux orfèvres, ciseleurs et sculpteurs sur bois », parue dans le Mercure de France, Cochin insiste pour que ces artistes changent leurs manières, arguant « qu’un chandelier doit être droit et perpendiculaire pour porter la lumière et qu’une bobèche doit être concave pour recevoir la cire qui coule, et non pas convexe pour la faire tomber en nappe sur le chandelier ». Prenant ainsi parti en faveur d’un retour à l’antique, Cochin se fait l’écho d’une nouvelle inflexion du goût qui se diffusera durant la seconde moitié du siècle et sera qualifiée de néo-grecque ou néo-classique.
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