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À quoi reconnaît-on une œuvre naturaliste ?

Le naturalisme recouvre deux significations, l’une est générale, c’est le souci de reproduire aussi fidèlement que possible la réalité. En ce sens, le terme est à peu près synonyme du mot réalisme. L’autre, plus particulière, décrit un mouvement artistique et littéraire de la fin du XIXe siècle qui se développe dans les arts visuels entre 1870 et 1890.

Ce mouvement est souvent confondu avec le réalisme, puisqu’il en adopte dans un premier temps les caractères généraux, à savoir les représentations de la vie quotidienne, dans sa banalité et ses laideurs, du travail ouvrier ou paysan et des paysages, tels ceux des peintres de Barbizon, de Rosa Bonheur, de Millet ou encore de Courbet. La peinture naturaliste est intimement liée aux romans d’Émile Zola et des frères Goncourt en cela qu’elle poursuit la même ambition : retranscrire un monde en profonde mutation technique et sociale, dans toute la fugacité et la véracité du quotidien d’alors. Cette nouvelle esthétique rencontre ainsi les préoccupations du régime Républicain de la Troisième République, dont elle incarne le style officiel.

La représentation du monde rural

Dans le sillage de Jean-François Millet, une toute nouvelle génération de peintres souhaite renouveler l’image de la ruralité et du travail ouvrier, tel Léon Lhermitte, le « peintre des paysans » qui exécute en 1882 l’un des plus grands chefs d’œuvres du mouvement naturaliste, La paye des moissonneurs. Les personnages sont représentés dans une volonté d’authenticité afin de mettre en lumière toute la dureté et la fatigue du travail agricole. Les interactions entre eux, notamment entre le moissonneur et le propriétaire de l’exploitation agricole, sont très révélatrices des liens sociaux et hiérarchiques ici à l’œuvre. Pour autant, la toile n’est en rien misérabiliste et exalte les valeurs qu’on prête alors au monde rural, dignité et courage entre autres, ce qui fait son succès. Dès son exposition au Salon de 1882, la toile est achetée par l’État. D’autres artistes, comme Jules Bastien-Lepage dans Les foins, une toile de 1877, dépeignent avec plus de mordant l’accablement et l’épuisement de la vie paysanne.

peinture Léon Lhermitte
Léon Lhermitte, La paye des moissonneurs, huile sur toile, 1882, Musée d’Orsay. Hervé Lewandowski RMN GP

Cette toile porte en elle toutes les grandes caractéristiques de la peinture naturaliste : l’intérêt porté aux gens modestes, la représentation en grand format pour un impact visuel plus fort (le personnage du premier plan est traité en taille réelle), un savoir-faire académique dans la composition mêlé à une technique libre, à la touche plus spontanée et visible. La peinture naturaliste puise également, pour ses compositions et son cadrage, dans la nouvelle technique de la photographie, qui traite elle aussi de la vie paysanne, ce qui témoigne de la vogue du sujet.

Le monde ouvrier

La représentation du monde ouvrier témoigne d’une réalité nouvelle, celle de la vie rude et cruelle du travail en usine, rouage indispensable dans la course au progrès que connaît la fin du siècle. Le bas-relief en bronze de Constantin Meunier, intitulé Les puddleurs au four, daté de 1893 et conservé au musée d’Orsay en est une des plus célèbres représentations. En relief se détachent deux hommes, tendus dans l’action tandis qu’ils remuent des minerais de fer en fusion.

Bronze Constantin Meunier
Constantin Meunier, Les puddleurs au four, bronze, 1893, musée d’Orsay. Crédits photos : RMN-Grand Palais (musée d’Orsay)/René-Gabriel Ojéda.

Ici l’authenticité des gestes et des vêtements et la tension des visages précisément rendue servent à souligner la pénibilité du travail. La représentation du monde ouvrier, à l’envergure moins poétique que celle du monde rural, rencontre moins d’intérêt auprès du grand public.

La science

Albert Edelfelt, Louis Pasteur, huile sur toile, 1885, musée d’Orsay. © RMN-Grand Palais (Musée d’Orsay)/DR.

La science, qui occupe une place de plus en plus importante dans les sociétés européennes de la fin du XIXe siècle, intéresse tout particulièrement les artistes naturalistes qui n’hésitent pas à portraiturer ces nouveaux héros, tel Albert Edelfelt, un peintre finlandais installé à Paris, qui représente Louis Pasteur dans son laboratoire de la rue d’Ulm, en 1885.

Le peintre étudie durant plusieurs mois le laboratoire et les instruments du scientifique et les retranscrit parfaitement malgré sa touche libre, les mettant également à l’honneur au premier plan dans une rigoureuse composition héritée des principes académiques. La position de Pasteur, particulière depuis sa paralysie du bras gauche, est également rendue avec précision, comme sur le vif, ce qui témoigne encore de l’influence de la photographie. Ce portrait connaît un succès considérable.

L’art de la IIIe République

La troisième République française, proclamée le 4 septembre 1870 au lendemain de la guerre franco-prussienne, ne s’impose que progressivement. Pour pallier les velléités des monarchistes, les républicains diffusent dans la peinture et la sculpture (statues, bas-reliefs, monuments urbains et médailles) les images et les symboles de la République.

Jules Adler, La grève au Creusot, 1899, huile sur toile, Musée des Beaux-Arts de Pau.

Les œuvres naturalistes, mettant en exergue les difficultés du peuple et sa grandeur morale, sont évidemment célébrées et participent d’un certain art officiel, proche de la « question sociale » dont Jules Adler, surnommé le peintre des humbles, en est l’un des plus grands représentants. Il est le premier à avoir peint des grévistes et en avoir fait le sujet de son tableau le plus célèbre, La grève au Creusot, une toile de 1899 qui montre au premier plan une « Marianne sociale » et qui souligne les fraternités et les solidarités ouvrières, comme toujours dans son œuvre. Dans ce cas précis et pour la première fois, face à la férocité patronale, l’État intervient et arbitre en faveur des ouvriers. Cela marque un tournant dans la peinture d’Adler, qui s’attache alors à représenter l’intégration des luttes ouvrières au régime républicain. De manière générale, il fait du prolétariat et de la République le sujet de grandes peintures d’histoire ; l’État lui achète donc ses toiles de manière régulière.

Le naturalisme porte donc en son sein des revendications sociales et politiques profondément liées aux bouleversements du temps et à la littérature et parvient, peu à peu, à progressivement renouveler les genres picturaux. Cette peinture des humbles est tout à fait éloignée des expérimentations et des sujets impressionnistes dont elle est pourtant contemporaine et qui la supplante de façon considérable dans l’histoire de l’art. 

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