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Qu’est-ce que le cubisme ?
Le cubisme est souvent considéré, grâce à ses expérimentations en peinture, sculpture, littérature et musique, comme le mouvement plus radical de la première moitié du XXe siècle. Il se situe à la croisée de deux influences bouleversantes pour l’art : l’appréhension de l’espace et de la couleur hérité de Paul Cézanne, et la découverte par les peintres français des arts africain, égyptien, océanien et ibérique, regroupés sous le terme d’« arts primitifs » selon la vision européo-centrée de l’époque.
En termes d’histoire de l’art, on peut considérer que le cubisme fait le lien entre le fauvisme et le surréalisme, mais noue aussi des liens étroits avec le futurisme, le constructivisme russe et l’expressionnisme allemand. Décryptage des sources, des acteurs et des apports formels d’un mouvement évocateur, mais souvent mal compris.
Les sources et les influences des peintres cubistes
L’héritage d’Ingres, de Cézanne et des autres
Cézanne contribue à la création d’un nouveau langage pictural géométrique qui influence notablement le cubisme. Dans célèbre lettre de 1904 à Émile Bernard, il décrit ainsi sa démarche : « Il faut traiter la nature par le cylindre, la sphère et le cône, le tout mis en perspective ». La géométrisation des formes n’est donc pas une invention des cubistes qui, profondément marqués par la leçon Cézanienne, l’intégreront à leur art et la dépasseront sous l’influence des « arts primitifs ». De plus, les sujets de la peinture cubiste sont classiques, au contraire des futuristes qui dépeindront un peu plus tard les éléments de la société moderne : voiture ou électricité. Les cubistes peignent donc des natures mortes, des paysages, mais surtout des nus, qui nourriront la créativité et l’obsession de Picasso dans ses premières toiles.
Pour créer ses célèbres grands nus, comme Deux femmes nues, 1906, Moma, Picasso puise dans de nombreuses inspirations visuelles, notamment Le bain turc d’Ingres, Les baigneuses de Cézanne, le modelé des corps robustes et puissants des femmes tahitiennes de Gauguin, et la lourde monumentalité des sculptures ibériques antiques que l’artiste a découverts en Espagne en 1906.
Les essais de Derain, Picasso et Braque
Pendant que Picasso se consacre à ses premiers nus, George Braque expérimente à l’Estaque de nouvelles leçons d’harmonie, de simplification et de construction des formes auprès d’André Derain. L’année suivante, en 1907, Picasso découvre au Salon des Indépendants des toiles de Braque et de Derain qui seront décisives pour la genèse des Demoiselles d’Avignon, qu’il réalise la même année, aujourd’hui conservé au MoMa. Il s’efforce de canaliser et de dépasser toutes ces influences pour aboutir à une grande radicalisation des formes géométriques et à un sujet brutal et explicite : un bordel.
Le titre originel des Demoiselles d’Avignon était en effet Bordel d’Avignon ou Bordel Philosophique. Les carnets de dessins préparatoires au tableau ont été conservés et on y ressent le glissement progressif vers une géométrisation radicale, traitant le corps féminin avec le cône, la sphère et le cylindre dans une palette ocre. Picasso dépasse la leçon Cézanienne en traitant plusieurs points de vue différents et en désarticulant les poses : la femme au premier plan est par exemple assise de dos avec le visage de face. Les premiers spectateurs de l’œuvre sont désorientés voir épouvantés et la toile ne connaitra le succès que dix ans plus tard, en juillet 1916 pour l’exposition du salon d’Antin.
Les étapes du cubisme
Le cubisme Cézannien, 1908-1910
À partir de 1908, Picasso et Braque travaillent ensemble à Montmartre. Ces échanges incessants sont le réel point de départ du cubisme et vont participer à la fracture de la peinture, passant d’une conception visuelle à une conception intellectuelle de la représentation. Même si leurs recherches se rejoignent sur plusieurs points, soumettant par exemple les formes et les plans à une fragmentation et une géométrisation intenses, leurs compositions diffèrent : les formes de Picasso s’éclatent tandis que celles de Braque se rassemblent.
À partir de 1909, les deux artistes introduisent de légères interruptions dans les lignes et les contours, tout continuant à traiter de sujets typiquement Cézaniens, natures mortes et paysages, qui sont autant de prétextes à des expérimentations comme Le Château de La Roche-Guyon de Braque, 1909, Musée Pouchkine. Dans cette toile, les plans se superposent et se délimitent par des arrêtes, la composition est enfermée et empêche toute ligne de fuite, le spectateur devient voyeur derrière le rideau d’arbres. L’abandon de la ligne de fuite et les formes discontinues ouvrent la voie à une nouvelle étape du cubisme, nommée analytique.
Le cubisme analytique, 1910-1912
Le cubisme analytique est une forme raisonnée, intellectuelle des recherches. Le sujet est totalement éclaté, déconstruit et représenté sous plusieurs facettes et les couleurs, qui empruntaient avant à la palette Cézanienne, sont alors totalement sacrifiées. Les seuls éléments encore visibles dans les compositions sont les instruments de musique et les lettrines, comme dans Femme à la Cithare, ma jolie, une toile de Picasso réalisée en 1911 et aujourd’hui conservée au MoMa.
Pourtant rétifs à l’abstraction, Picasso et Braque atteignent une forme picturale qui y ressemble beaucoup. Comprenant rapidement que la lecture de leurs œuvres devient trop compliquée et qu’ils risquent d’être associés aux avant-gardes abstraites, ils décident tous deux de réintroduire dans leurs toiles un semblant de réalité, qui constituera le cubisme synthétique.
Le cubisme synthétique, 1912-1914
En 1912, George Braque a l’idée d’utiliser des rouleaux de papier imitant le lambris dans ses compositions, toujours dans la volonté de réintroduire une meilleure lisibilité et de s’éloigner de l’abstraction. Picasso lui emboite le pas très rapidement. Se met alors en place une nouvelle manière cubiste, qui conduit à l’invention des papiers collés par Braque, comme Compotier et Verre, 1912, MoMa.
Ici, le papier est le support même de l’œuvre avec l’idée du « trompe-esprit » selon le mot de Picasso, c’est à dire faire référence à un élément réel par sa matière même. À partir de cela, Braque et surtout Picasso vont réaliser des constructions en papier alors que très peu de sculpteurs à l’époque n’osent s’aventurer dans cette voie. La couleur commence également à être réintroduite.
À partir de 1911, la leçon cubiste est intégrée par des artistes comme Fernand Léger, Robert Delaunay, Henri le Fauconnier, Marcel Duchamp ou Marie Laurencin. Certains de ces artistes vont alors créer le groupe de Puteaux, dit de la Section d’Or, s’inspirant des expérimentations cubistes pour montrer la défragmentation du mouvement et la mécanique des corps.
Après la guerre, Picasso et Braque délaissent le cubisme pour d’autres recherches plastiques tandis que certains des peintres de la Section d’Or s’orientent soit vers l’abstraction géométrique, soit vers l’abstraction lyrique. Le grand chamboulement des arts est déjà en marche.
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