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Qu’est-ce que le Japonisme ?

Quatre ans suffirent au Japon pour attirer toute la clientèle artistique de Paris 

Emile Zola, Au Bonheur des Dames, 1883

Histoire d’un bouleversement du goût

Définition du japonisme

Si les échanges artistiques entre l’Asie et la France sont pléthores depuis au moins le XVIIIe siècle, grâce à l’intermédiaire des marchands merciers qui importaient des objets asiatiques et les transformaient pour les adapter au goût oriental, on n’y applique pas la dénomination de japonisme. Ce terme a été créé par le critique d’art Philippe Burty qui désigne alors la nouvelle vogue dans l’art de son époque : l’influence de l’art et de l’esthétique japonaise sur les arts français durant les quarante dernières années du XIXe siècle. Cet engouement est éclipsé au début du XXe siècle par l’attrait des artistes liés aux avant-gardes pour les arts d’Afrique et d’Océanie. 

Le traité de 1858 et la constitution des collections nationales

En effet, la France et le Japon signent en 1858 un traité commercial ouvrant à l’importation d’objets japonais : événement d’importance pour le Japon de l’ère Meiji qui était jusqu’alors un monde clos aux pénétrations occidentales. La participation du Japon aux Expositions Universelles de Paris dès 1867, puis en 1870 et en 1889, favorisent également la connaissance et l’engouement pour l’art de ce pays, touchant autant le grand public que les collectionneurs. L’industriel Emile Guimet, grand voyageur et collectionneur d’art asiatique fait don en 1884 de toutes ses collections à l’Etat, conduisant à l’ouverture en 1888 du musée Guimet, joyau français des collections d’art asiatique. C’est aussi à cette époque que la Bibliothèque National de France constitue son fond d’estampes.

oeuvre de Felix Regamey
Felix Regamey, Rencontre entre Emile Guimet et un moine bouddhiste, musée Guimet, Paris. © Photo RMN-Grand Palais (musée Guimet, Paris)

L’importance de l’estampe

Les estampes japonaises connaissent en effet un engouement extraordinaire par l’intermédiaire de grands marchands comme Siegfried Bing et Tadamara Hayashi qui recherchent les pièces rares et contribuent à faire connaitre en Occident les noms d’Hokusai, d’Hiroshige, Monorubu… Grâce à elles, les artistes de l’époque s’affranchissent des formes traditionnelles, découvrent de nouveaux motifs et mettent en place de nouvelles solutions pour représenter l’espace, mettre en forme les volumes et utiliser les couleurs. Claude Monet est profondément influencé par l’esthétique japonaise et se constitue une grande collection d’estampes (à la fin de sa vie, il en possédait plus de deux cent trente pièces) qui l’influencent dans la composition de son jardin d’eau de Giverny, formé de nymphéas, d’un pont japonais, de saules…

Plus généralement, c’est une rupture radicale dans la tradition des formes occidentales et l’Asie entière devient source d’inspiration : les patines sur métaux sont d’inspiration japonaises, les émaux cloisonnés et les dragons appliqués sur les mobiliers (comme sur les meubles de Gabriel Viardot) sont une tradition chinoise. L’influence du Japon dans les arts décoratifs français permet de dépasser les carcans de la répétition et de la réinterprétation des styles anciens (néo-gothique, néo-renaissant etc.) qui irriguait tout le XIXe siècle et déclenche ainsi une véritable révolution dans les arts, notamment décoratifs. Le japonisme a ainsi touché tous les domaines de l’art occidental de manière intense et globale durant les quarante dernières années du XIXe siècle : arts décoratifs, Beaux-Arts, littérature, musique et mode (le kimono est définitivement adopté dans son usage de robe de chambre et est le costume favori des compositions peintes japonisantes).

Conséquences sur l’art occidental

Les Nabis

L’art japonais a profondément influencé le style des Nabis, notamment Pierre Bonnard surnommé « Le nabis très japonard ». Les prophètes dépassent la simple recherche d’exotisme pour tendre à une simplification des formes, à une sinuosité de la ligne et des silhouettes, à l’abandon de la perspective et à l’utilisation des couleurs vives sur des formats renouvelés, délaissant la forme habituelle de la peinture de chevalet pour de longues bandes verticales hérités du Kakemono, sensibles dans Femmes au jardin, une suite de tableaux conçu par Bonnard en 1891.

Femmes au jardin Bonnard
Femmes au jardin, une suite de tableaux conçu par Bonnard en 1891 et aujourd’hui conservés au musée d’Orsay (crédits photos : musée d’Orsay/RMN).

Dans ces toiles, qui ressemblent à des panneaux de paravent, sont également sensibles les thématiques du Ukiyo-e, « images du monde flottant », qui consistent à fixer des moments fugitifs, des impressions de la vie quotidienne, qui forment les thèmes favoris des peintres nabis.

L’Art Nouveau et le Japonisme

On assiste en Angleterre à la même déferlante d’objets Japonais. A Londres, en 1861, la Japanese Court révèle au grand public les trésors du Japon : les objets sont achetés par les collectionneurs, notamment par l’architecte Edward Godwin, et les artistes constituent rapidement des meubles élégants, qualifiés d’anglo-japonais. Mais l’influence du Japon ne se limite pas à des ensembles décoratifs : en 1888, le marchand d’art japonais Siegfried Bing, établi à Paris, souligne dans Le Japon artistique (une revue qu’il a créée), que la nature est au Japon un maître vénéré et une source intarissable d’inspiration, rejoignant en cela les préoccupations naissantes de l’art Nouveau.

Un autre aspect de l’art japonais frappe les contemporains occidentaux : la grande beauté des objets du quotidien qui découle de la conscience aiguë des Japonais de la connexion entre le beau et l’utile et du soin apporté à la préservation d’une tradition artisanale. Ces deux aspects marqueront profondément les artistes de l’Art Nouveau qui souhaitent un processus créatif opposé au développement exponentiel de la production industrielle. Josef Hoffmann ainsi, lors de l’établissement du programme artistique des Wiener Werkstätte de Vienne en 1903 déclare :

Ce que nous voulons, c’est faire ce que les Japonais font depuis toujours. Peut-on imaginer n’importe quel objet d’art décoratif japonais usiné ? 

Josef Hoffmann

L’art japonais séduira également l’écossais Macintosh, qui ornera ses composition de fines silhouettes de branchages fleuris et le français Emile Gallé, qui produira nombre d’objets du quotidien à décor japonisant, vases, pots, services de tables ou éventails décoratifs.

Vase carpe Gallé
Emile Gallé, Vase à la carpe, 1878, musée du verre et du cristal, Meisenthal

Le décor a été imaginé par Gallé d’après une estampe de Hokusai datée de 1831 et destinée à être imprimée sur éventail. Gallé à néanmoins apporté quelques modifications à l’œuvre originale en remplaçant les végétaux aquatiques par les rinceaux décoratifs.

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