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Les ivoires médiévaux
L’ivoire fascine depuis toujours, c’est ce qu’avait démontré la magnifique exposition du Musée du Louvre qui avait eu lieu en 2004 et était intitulée « Ivoires, de l’Orient ancien aux temps modernes ». Elle faisait enfin la part belle à ce noble matériau, réputé pour sa préciosité et sa pureté. En France, la grande période de la production sculptée en ivoire est le Moyen-Age, seulement, en dix siècles de temps, les formes, les techniques et la nature des matériaux eux-mêmes ont changé. Tentons ensemble de retracer la grande histoire des ivoires médiévaux afin de mieux les reconnaitre et les comprendre.
Les ivoires carolingiens : entre influences antiques et formules nouvelles
Les ivoires carolingiens sont réalisés concomitamment aux ivoires de la renaissance byzantine, entre le VIIIe et le Xe siècle. Même si les ivoiriers carolingiens ne rivalisent pas avec la qualité des productions de leurs confrères byzantins, leurs œuvres présentent de grandes qualités esthétiques et des caractéristiques formelles qui les rendent assez aisément identifiables.
En effet, tout comme les ivoires byzantins, les ivoires carolingiens sont les héritiers de l’Antiquité tardive et se réfèrent à des modèles des Ve et Vie siècles, tant sur le plan iconographique que technique. Ils imitent ainsi les ivoires chrétiens antiques, comme en témoigne l’évangéliaire de Lorsch, composé entre 778 et 820, chef d’œuvre absolu de l’enluminure et du travail de l’ivoire sous le règne de Charlemagne et qui reprend les compositions antiques à cinq compartiments. À l’instar de celui de l’évangéliaire de Lorsch, la plupart des ivoires carolingiens sont en réalité des plats de reliure de manuscrits et présentent ainsi de grandes ressemblances avec l’enluminure, tant dans la composition que l’ornementation ou encore le style des plis.
Les ivoiriers carolingiens ont également inventé des formes nouvelles, destinées à une grande postérité, comme le peigne en ivoire. Quant aux matériaux utilisés, il s’agit jusqu’à la moitié du IXe siècle d’ivoire d’éléphant, puis la pénurie a poussé les artistes au réemploi d’ivoires plus anciens, notamment des feuillets de diptyques consulaires qu’ils rabotaient et utilisaient au revers. Parallèlement, l’ivoire de morse est de plus en plus utilisé, notamment pour les œuvres prestigieuses.
Les ivoires romans, lien entre art carolingien et ottonien
Les productions en ivoire des XIIe et XIIIe siècles restent hermétiques aux évolutions de la grande statuaire romane et s’inscrivent plutôt dans la droite lignée de l’ivoirerie carolingienne des siècles précédents. Ce refus des formes nouvelles s’explique par l’importance des ateliers germaniques qui, pendant le règne des empereurs ottoniens, connaissent une véritable renaissance. Certaines œuvres carolingiennes passent parfois sur le marché de l’art, bien que cela reste tout de même extrêmement rare. La maison de ventes Marc-Arthur Kohn a ainsi vendu en 2013 pour 200 000 euros un ivoire représentant le Christ en majesté entouré des évangélistes, datant de 1180-1200 et provenant de l’ancienne collection Chalandon.
Le gothique : l’âge d’or des ivoiriers parisiens (XIIe-XIVe siècles)
Les ivoires du XIIIe siècle
Au tout début du XIIIe siècle, l’ivoire d’éléphant est de nouveau importé en abondance en Europe et contribue au développement d’une activité exceptionnelle et à l’instauration de Paris en tant que capitale de la production d’ivoires en France. Deux grandes innovations sont à noter dans la production des ivoires sculptés de cette époque, dans un premier temps la création des statuettes complètes en ronde-bosse et dans un second temps, les diptyques et triptyques de la fin du siècle.
Vers 1230 apparaissent en effet les premières sculptures gothiques en ivoire, de dimensions plus imposantes par rapport aux productions sculptées antérieures. Ces sculptures représentent majoritairement des Vierges seules ou des Vierges à l’Enfant qui sont pléthores durant cette période de grand développement du culte marial et trouvent certainement dans l’ivoire un symbole de pureté. Elles accusent également un fort déhanchement lié à la forme de la matière. On trouve aussi quelques groupes représentant des scènes de la vie de la Vierge ou de la passion du Christ, comme le groupe de la descente de croix, un des chefs d’œuvres des collections du Louvre, réalisé vers 1270-1280. Les quelques traces de polychromie sur les ivoires de grande qualité nous laissent penser que les ivoiriers travaillaient également avec des peintres et qu’à l’instar des sculptures des cathédrales, les ivoires devaient être peints de couleurs chatoyantes.
À la fin du siècle, les diptyques et triptyques de petite taille destinés à l’usage personnel des fidèles présentent de véritables bas-reliefs sculptés profondément dans d’épaisses plaques d’ivoire. Ces chefs d’œuvres de la sculpture sur ivoire présentent une composition qui est toujours sensiblement la même, en étages superposés, portés par des colonnettes et couronnés d’arcatures. Un magnifique exemplaire, le diptyque de Soissons, réalisé vers 1270, est aujourd’hui visible dans les collections du Victoria and Albert Museum de Londres.
Les ivoires du XIVe siècle : amour courtois et délicatesse
Au tournant du siècle, le raffinement extrême des arts à la cour parisienne induit un certain nombre de caractéristiques formelles qui aident à l’identification des ivoires, telle la déformation des gestes, des expressions et des proportions ainsi qu’une plus grande complication dans le décor architectonique et les plis. Les représentations religieuses et profanes s’entourent également d’une certaine mièvrerie caractéristique de la vogue des romans d’amour courtois alors à la mode, tel le Roman de la Table Ronde. Se multiplient ainsi les représentations de ces rencontres amoureuses et chevaleresques à destination d’une clientèle riche et noble, sur des supports du quotidien telles les valves de miroir ou les grattoirs.
La production d’ivoires s’inscrit donc dans une histoire de l’évolution des techniques et des formes qui sont le reflet des préoccupations de la société aux différents âges du Moyen-Age. Leur grande préciosité et leur rareté en font encore aujourd’hui des objets très convoités par les collectionneurs privés et les musées qui se livrent une bataille d’enchères acharnée lorsque certaines œuvres passent en vente, notamment sur le marché parisien. Ouvrez l’œil !
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