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Comment distinguer les productions des grandes manufactures de tapisserie ?
Dès le Moyen Âge, plusieurs villes françaises se sont particulièrement illustrées dans la production de tapisseries : Beauvais, Paris, Aubusson pour les plus importantes, et il est parfois difficile de rattacher une pièce à un centre de production de manière définitive. Pourtant, chaque manufacture laisse des marqueurs dans sa production, tant au niveau technique qu’iconographique, qui sont autant d’indices pour l’identification.
La manufacture d’Aubusson
Dès le XIVe siècle, la cité d’Aubusson, située dans le Massif Central, se spécialise dans la production de tapisseries. Les ateliers d’Aubusson sont alors fortement influencés par le modèle flamand : les scènes typiques des tapisseries sont des verdures et des scènes de chasse. Dès 1665, Colbert accorde à la manufacture d’Aubusson le titre de manufacture royale. Sous l’Ancien Régime, les initiales ou le nom de l’atelier sont cousus sur une bordure bleue avec l’inscription « MR AUBUSSON », ce qui rend les tapisseries aisément identifiables, lorsqu’elles sont complètes. Les productions de la manufacture au XVIIe siècle sont marquées par l’influence du peintre Isaac Moillon qui réalise de nombreux cartons pour des tapisseries, qui donnent lieu à de grands cycles à thèmes mythologiques, comme la suite sur L’Histoire d’Achille, qui sera tissé à de nombreuses reprises. La plupart des exemplaires de cette suite sont conservés au musée des Hospices de Beaune, mais des pièces passent souvent en vente, comme cette tapisserie représentant l’épisode d’Achille séduisant Deidamie, vers 1670, adjugé 6800 euros en 2015 chez Art Richelieu à Drouot.
Au XVIIIe siècle, la manufacture est à son apogée et produit des œuvres d’après les œuvres de François Boucher, Jean-Baptiste Huet et Jean-Baptiste Oudry. Menée par la famille Picon, dont le père est teinturier du roi, la production de la manufacture s’oriente vers les tapisseries exotiques et les chinoiseries, qui sont la spécialité de la famille. Bien plus tard, à l’issu de la Seconde Guerre mondiale, un des ateliers les plus réputés et les plus anciens d’Aubusson, celui de la famille Tabard, décide de se tourner uniquement vers la tapisserie moderne et de travailler avec la galerie Denise René, qui édite en tapisserie les œuvres de Jean Arp, Victor Vasarely ou encore Sonia Delaunay. De nos jours, et depuis la Seconde Guerre mondiale, les productions contemporaines de la manufacture portent une pièce cousue au revers, appelée le bolduc, et qui porte le nom de l’artiste lissier, sa signature, le nom de l’atelier ainsi que le numéro de tissage. Cette pièce fait office de certificat d’authenticité.
La manufacture de Beauvais
La manufacture Royale de Beauvais est instaurée en 1664 à l’instigation de Colbert grâce sa position géographique avantageuse qui facilite les exportations vers l’est. Dans un premier temps la manufacture produit majoritairement des tapisseries de verdure ou de paysages à petits personnages. Cela change radicalement en 1684, lorsque le directeur Philippe Béhagle décide d’orienter la production vers de grands sujets historiques ou bibliques, tels Les Actes des Apôtres, d’après Raphaël ou encore la Suite des grotesques à fond jaune, d’après Jean-Baptiste Monnoyer. À cette époque également, de nombreuses pièces sont destinées à l’exportation, comme la tenture des Conquêtes de Charles IX, tissée pour le roi de Suède.
Tout comme la manufacture d’Aubusson, celle de Beauvais connaîtra son apogée au XVIIIe siècle, lorsque sa direction est confiée au grand peintre animalier Jean-Baptiste Oudry, qui s’entoure des plus grands artistes de l’époque, comme Boucher ou Natoire, qui créent des cartons pour la manufacture. Ainsi, de nombreuses suites sont tissées, comme Les fêtes Italiennes ou Les Fêtes de Psyché, aux sujets plaisants et charmeurs. À cette époque, la manufacture crée aussi des tapisseries pour sièges, écrans, paravents etc. aux motifs assortis aux tentures, afin de former de grands ensembles décoratifs. Au XIXe siècle d’ailleurs, c’est cette activité de tapisserie de siège qui sera la plus importante. Dès 1937, la manufacture est rattachée au Mobilier National et contribue au renouveau de la tapisserie française, en invitant de nombreux artistes renommés à fournir des cartons, comme Matisse, Le Corbusier ou encore Picasso. De nos jours, ses productions sont estampillées d’un monogramme MBN, qui se trouve généralement au bas du tissage.
Les manufactures des Gobelins et de la Savonnerie
La manufacture des Gobelins, établie dans le faubourg St Marcel à Paris, existe depuis le XVe siècle, mais c’est seulement à partir de 1662 et de son rachat par Colbert que la manufacture devient royale. S’installent alors dans les Gobelins, non seulement des ateliers de lissiers, mais également des orfèvres, fondeurs, graveurs et ébénistes qui honorent les plus grandes commandes de la cour pour l’ameublement de ses maisons royales et ses cadeaux diplomatiques. Cette pépinière d’artistes en ébullition est bien représentée sur la tapisserie de La visite de Louis XIV à la manufacture des Gobelins, 1664, Château de Versailles.
Sous la direction de Charles Le Brun, la réputation de la manufacture croît considérablement, en France et à l’international. Les tapisseries des Gobelins ne sont pas de simples objets de décoration, elles sont des moyens de propagande qui glorifient les vertus et les hauts faits du Roi, sous couvert de représentations mythologiques. Par la qualité de leur exécution, la richesse des matériaux employés (des fils d’or notamment) et l’iconographie propagandiste, elles étaient le miroir de la France à l’international et se devaient de clamer sa prospérité. De cette époque datent également des tentures exécutées d’après des cartons célèbres comme La tenture des Actes des Apôtres d’après Raphaël ou L’histoire du Roi, d’après Lebrun.
Dès 1694, l’activité de la manufacture décroît. Au XVIIIe siècle, l’activité est moindre, on tisse surtout L’histoire de Don Quichotte d’après Coypel. À cette époque aussi, la production des Gobelins est très reconnaissable puisque les tapisseries sont ornées d’alentours, c’est-à-dire d’un encadrement, comme une bande, très riche de fleurs et d’ornements. Après la Révolution, les sujets des tapisseries glorifient l’empereur en reprenant les chefs-d’œuvre des artistes du siècle, comme David ou Gros. En 1937, la manufacture est elle aussi rattachée au Mobilier National et édite en tapisseries les œuvres des plus grands artistes comme Calder, Poliakov, Louise Bourgeois etc. Depuis cette date, les tapisseries contemporaines sont marquées du sigle de la manufacture, qui fait office d’authentification, une navette dans un G.
La manufacture des Gobelins, également rachetée par Colbert et placée sous la direction de Lebrun, se spécialise dans la production de grands tapis dès le XVIIe siècle et jusqu’à nos jours. Ses productions sont également identifiables grâce à un monogramme, une navette dans un S, qui ressemble un peu au sigle du dollar.
Les prix des tapisseries varient selon leur état de conservation et leur provenance, allant de quelques milliers d’euros à des centaines de milliers, comme dans le cas de la Première Tenture chinoise tissée à la Manufacture Royale de Beauvais au XVIIIe siècle adjugée 350 000 euros en 2006 chez Beaussant Lefèvre. Heureusement, il existe peu de faux à cause de la lenteur et de la difficulté des procédés de fabrication, mais une bonne expertise est néanmoins nécessaire, car, dans le domaine de la tapisserie, un petit fragment vaut parfois plus qu’une grande tenture.
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