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Comment reconnaître la faïence de Rouen ?
À partir du XVIe siècle, la faïence rouennaise acquiert une réputation internationale et devient le décor privilégié d’une noblesse sensible au nouvel art de vivre à l’italienne. Rouen, qui est à cette époque la deuxième grande ville du pays, est en effet l’une des premières manufactures françaises. Elle diffusera ses formes et ses motifs dans toute l’Europe durant près de trois siècles, avant d’entamer une période de déclin. Comme pour les autres manufactures françaises, l’esthétique de la faïence rouennaise est soumise à des influences stylistiques venues d’Europe et d’Asie, il est donc parfois difficile de la distinguer des productions des autres manufactures, pénétrées des mêmes motifs. Décryptage, historique et clés de lecture des faïences rouennaises.
Première période : 1515-1700
Masséot Abaquesne, l’éclat de la faïence à la Renaissance.
La faïence rouennaise apparaît dès 1515 grâce à Masséot Abaquesne, un faïencier formé soit à Faenza auprès des maîtres italiens de la majolique, soit à Anvers : le mystère demeure entier puisqu’aucun document d’archives n’en atteste. Dès 1538, il livre des commandes exceptionnelles : plus de 4 000 albarelli, des pots à pharmacie, pour un apothicaire de la ville. Ce type de pièces de forme, ornées de portraits en buste de profil, d’arabesques et de motifs végétaux dans les tons ocre, bleu, vert sont majoritaires dans sa production. Très rapidement, Abaquesne acquiert une grande notoriété et travaille pour des commanditaires du cercle intime de la cour de François Ier, notamment le connétable Anne de Montmorency, pour qui il crée un pavement constitué de milliers de carreaux de faïences (à l’esthétique italianisant et au décor héraldique) ainsi que des panneaux historiés, aujourd’hui conservés respectivement au musée d’Ecouen et au musée Condé de Chantilly.
Très étonnement, la florissante entreprise de Masséot Abaquesne disparaît à sa mort et il faudra attendre 1644 pour que la faïence rouennaise retrouve son éclat, sous les mains de Louis Poterat. Les œuvres de Masséot Abaquesne sont assez rares sur le marché de l’art, il s’agit principalement d’Albarellli, de carreaux de pavement ou encore de chevrettes, reconnaissables au monogramme MAB souvent apposé sur les pièces, comme sous l’anse de cette chevrette adjugée 20 000 euros chez Normandy Auction à Drouot en 2019.
L’expansion des Poterat
En 1644, les fabriques de grand feu de Rouen reçoivent un privilège royal d’exploitation qui relance considérablement l’industrie faïencière de la région. Edme Poterat et son fils Louis, deux faïenciers rouennais, connaissent ainsi leurs premiers succès en reprenant les décors de camaïeux bleus sur fond blanc (réalisés au bleu de cobalt) propres aux faïences de Delft et de Nevers, aux thèmes orientaux dits « hollando-japonais ». Cette première production s’étend jusqu’à la fin du XVIIe siècle et se caractérise par des pièces très fines à la glaçure blanche rehaussée de reflets caractéristiques bleuâtres ou parfois verts et aux motifs centraux végétaux, floraux ou habités de personnages.
Au tournant du XVIIIe siècle, les Poterat réussissent à s’extraire des influences stylistiques de Nevers et de Delft pour créer leurs propres décors qui connaissent un grand succès grâce à des innovations formelles, comme l’introduction du rouge afin de briser la monotonie de la bichromie bleu/blanc. L’introduction de la couleur rouge à des décors de grand feu est un tour de force en soi et un secret bien gardé. Les Poterat s’illustrent aussi dans un autre décor de leur invention, parfois appelé rayonnant ou à lambrequins et qui consiste en une répétition de motifs de broderies, lambrequins, rinceaux ou fleurons entourant toute la bordure des pièces et pointant vers l’ornement central. Ce motif décoratif connaît un immense succès durant tout le règne de Louis XIV, s’adaptant particulièrement bien aux pièces rondes ou symétriques.
Deuxième période : 1700-1755
Le fond ocre niellé, la perle des collectionneurs
Les Poterat créent sans cesse et recherchent assidûment de nouvelles techniques pour innover dans les formes et les décors. Dès 1720 apparaît le décor « à l’ocre niellé », tandis que la production des œuvres à décor rayonnant continue. Ce décor rappelle les incrustations de nielle propre à l’orfèvrerie et est constitué d’un fond ocre ou bistre couvert d’arabesques en émail bleu, qui apparaissent presque noires lorsqu’elles sont en contraste avec le fond ocre. Sur ce fond se détache en réserve des décors charmants de petits personnages, enfants jouant ou putti ailés qui, alliés à l’audace technique, contribuent au prix très élevé de cette production. Cette bannette en faïence de Rouen au décor ocre niellé de chérubins jouant à la pelote et d’un amour en camaïeu bleu a ainsi été emportée chez Rémy Le Fur & Associés à 146 000 euros.
Le style « imitation chinoise »
À partir de 1725 et sous l’impulsion de la manufacture Guillebaud, certains peintres de la manufacture rouennaise, tel Pierre Chapelle, se lancent dans l’imitation plus ou moins approximative de la porcelaine chinoise. Le décor de ses pièces ne présente plus aucune régularité ni symétrie, mais affiche au contraire une grande variété d’ornements, que l’on peut regrouper en deux types principaux :
- Les sujets de chinoiseries, qui présentent des décors japonisants soignés, mêlant pagodes, fleurs et paysages dans lesquels évoluent des personnages. Les bordures ne sont pas mises en rapport avec les scènes centrales, la plus connue est formée d’un quadrillage vert formé de petites croix rouge vif ou de fleurettes.
- Le deuxième grand type de décor présente un fond bleu lapis ou coloré imitant les laques japonaises sur lequel se détachent des insectes ou des fleurs.
Troisième période 1755-1770
Le style rocaille
Sous le règne de Louis XV, le style rocaille s’insinue dans tous les arts décoratifs, et notamment dans la faïence qui s’inspire des compositions légères de François Boucher. Les pièces s’ornent de scènes galantes ou de chasse, parfois d’inspiration chinoise, dans un décor tout en courbes semé de coquilles, de guirlandes, d’arabesques ou de cornes d’abondance. Outre la variété et la qualité des décors, la qualité de l’émail, très pur, propulse la manufacture au sommet de sa production, avant d’opérer rapidement un déclin.
Le déclin de la production rouennaise
À partir de 1770, pour faire face à la concurrence des porcelaines d’Angleterre et des faïences fines françaises, certaines manufactures comme Levavasseur tentent le petit feu, qui permet des couleurs proches de celles de la porcelaine, comme le rose. Néanmoins, les résultats ne sont pas très concluants et ne parviennent pas à rivaliser avec les productions de Marseille ou de Strasbourg. C’est le début de la ruine des manufactures rouennaises, précipité par le traité commercial de 1794 entre la France et l’Angleterre. En 1810, toutes les manufactures de Rouen sont à l’arrêt.
Les faïences de Rouen font partie intégrante de l’histoire des arts décoratifs français et ont orné les plus grandes demeures du royaume durant près de trois siècles. La qualité de la production et la variété des décors et des formes ont contribué au succès retentissant de ces manufactures, qui s’illustrent également dans de superbes pièces de formes se rapprochant de la sculpture, tels les bustes des quatre saisons fabriqués en 1730 dans l’atelier de Nicolas Fouquay et conservés au département des Objets d’art du Musée du Louvre.
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